Marguerite Yourcenar (Les règles du jeu)

Les règles du jeu : tout apprendre, tout lire, s'informer de tout, et, simultanément, adapter à son but les Exercices d'Ignace de Loyola ou la méthode de l'ascète hindou qui s'épuise, des années durant, à visualiser un peu plus exactement l'image qu'il crée sous ses paupières fermées. Poursuivre à travers des milliers de fiches l'actualité des faits; tâcher de rendre leur mobilité, leur souplesse vivante, à ces visages de pierre.

Lorsque deux textes, deux affirmations, deux idées s'opposent, se plaire à les concilier plutôt qu'à les annuler l'un par l'autre ; voir en eux deux facettes différentes, deux états successifs du même fait, une réalité convaincante parce qu'elle est complexe, humaine parce qu'elle est multiple.

Travailler à lire un texte du IIè siècle avec des yeux, une âme, des sens du IIè siècle ; le laisser baigner dans cette eau-mère que sont les faits contemporains ; écarter s'il se peut toutes les idées, tous les sentiments accumulés par couches successives entre ces gens et nous.

Se servir pourtant, mais prudemment, mais seulement à titre d'études préparatoires, des possibilités de rapprochements ou de recoupements, des perspectives nouvelles peu à peu élaborées par tant de siècles ou d'événements qui nous séparent de ce texte, de ce fait, de cet homme; les utiliser en quelque sorte comme autant de jalons sur la route du retour vers un point particulier du temps.

S'interdire les ombres portées ; ne pas permettre que la buée d'une haleine s'étale sur le tain du miroir ; prendre seulement ce qu'il y a de plus durable, de plus essentiel en nous, dans les émotions des sens ou dans les opérations de l'esprit, comme point de contact avec ces hommes qui comme nous croquèrent des olives, burent du vin, s'engluèrent les doigts de miel, luttèrent contre le vent aigre e la pluie aveuglante et cherchèrent en été l'ombre d'un platane, et jouirent, et pensèrent, et vieillirent, et moururent.

In Carnets de notes de "Mémoires d’Hadrien"

Photo "Atravers la fenêtre", Jean-Louis Saporito

Photo des mains : ???

Comments

[didier]

La dame, la fenêtre et les mots.
Qu'il fait bon d'être assis là, en noir et blanc et de regarder ses mains nous raconter le monde.

[amichel]

il semblerait
à voir et écouter les méfaits de ses derniers jours
que les hommes n'ont aucune peine à se remettre dans les pas de la sauvagerie de cromagnon ,et encore lui il avait des excuses il n'avait pas encore lu marguerite !

[jackie]

de cette nature humaine où tout semble limpide pour les uns, opaque pour les autres ; cette complexité est de l'ordre naturel de notre espèce.
Des zones obscures ou claires jalonnent notre route, autant de continuité, que de recommencement...Le durable glisse entre nos doigts, aujourd'hui, seul l'instant est à saisir...Jackie

[D. Hasselmann]

On peut voir, dans le petit musée consacré à Marguerite Yourcenar à Saint-Jans-Cappel (59), visité il y a quelques années, une machine à écrire lui ayant appartenu, "type" Remington.

Ce sont de petites "Archives du Nord"...