Continents pays îles océans mers, « tout ça » que tu abordes, inscrit sur un feuillet quadrillé.
Campée devant la carte du monde, pointer le départ.
Chercher puis trouver les noms inscrits sur la liste, baisser, lever les yeux, vérifier.
Mon doigt hésitant suit la route, je me rapproche pour lire les petits caractères,
ceux des îles minuscules où mon index accoste.
Le regard revient vers l’est, absorbe la continuité, l’ensemble, puis reprend ses découvertes à l’ouest.
La carte est fixée au mur, à droite de la fenêtre où se découpe un rectangle de terre rousse en manque d’eau.
Mon doigt surfe sur des eaux immenses, profondeurs abyssales.
Je ferme les yeux, j'imagine, la ligne d’horizon tangue dans le cercle d’un hublot.
Je trace des courbes, des droites, des angles, je caresse le tropique du Capricorne,
je contourne des obstacles, ignorante des vents et des courants mais pas de l’élan vers toi,
je m’interroge sur le pourquoi, le comment de tes escales.
J’ai dans le cœur une vibration de caravelle brisant la septième vague, la plus haute.
Je t’accompagne, veilleuse lampe à huile, de celle qui ne s’éteint pas.
***
Tu es assis dans le cockpit, un bras par-dessus bord, le corps légèrement penché en arrière.
Tu observes l’eau filer le long de la coque, tu peux définir la vitesse d’Océania en écoutant son bruissement.
Tu rêves aussi, tu es dans ton royaume, là où tu es à la fois maître et serviteur.
Tu écoutes le vent dans les voiles, tu gères leur surface, leur orientation ;
selon la force du vent tu changeras peut-être de cap.
Tu regardes les étoiles, la lune, les nuages…Tu écoutes…tu écoutes…
Oui, le plus souvent je t’imagine écoutant.
Ecouter, regarder, sentir.
De ta complicité avec Océania, de ta prévenance, de ton attention à ses exigences dépend sa bonne vibration. Mais aussi de tes attentes, de ta confiance en sa fougue, en sa capacité à donner le meilleur de lui-même à un maître artisan qui l’encourage.
Dans l’excellence, un voilier chante un air particulier, une mélodie qui rend le navigateur heureux et vibrant lui-même.
Un plaisir ample dans le cœur, le ventre, la tête.
L’homme reconnaît pourquoi il vit ici et maintenant, il rencontre la qualité de son rêve, sa réalité.
L’homme sait pourquoi il est endurant, opiniâtre, patient, humble :
pour créer, pour entendre la note juste émise par son bateau.
Et sa note d'homme, intime décapée dépouillée.
La note couverte de cicatrices.
Histoire d’amour, de fusion, de combats, de deuils suivis de naissances.
Photo Dom.A "Graffiti dans une tour de La Rochelle"