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Voyage dans les mots
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24 avril 2009

Océania (Mon ami Cito)

mon_ami_Cito_petit


Je le prénomme par son nom parce qu’il a un nom qui résonne comme un prénom.

Vingt-cinq ans d’amitié. Du solide.
Il est AA, ce qui ne veut pas dire Amoureux Ardent mais Alcoolique Anonyme.

C’est ce qu’il a fait de plus important dans sa vie, dit-il : arrêter de boire.

Médicaments et cigarettes aussi. Tout en même temps, il y a trente ans. Il a tenu.

On ne guérit pas du problème d’alcool, on devient abstinent.


Il vivait à Bruxelles, ensuite à Porquerolles.

Il était aisé, aujourd’hui il vit modestement à Puimichel.
Sans télévision, sans voiture, par choix, juste une mini moto qu’il n’utilise pas mais on ne sait jamais… Elle est rangée dans la cuisine.

Il est plus heureux de vivre dans ce village que sur l’île où débarquait une cohue quotidienne pas drôle.

village_ds_bl__petit


 

Puimichel, petit village au-dessus d’Oraison. Pas de touristes.

Sur la place autour de l’église, des maisons, une fontaine, la mairie...
A l’ombre des platanes quelques bancs fréquentés par les habitués qui se retrouvent après la sieste pour commenter tout ce qui bouge dans le village y compris la robe serrée et courte, le décolleté blanc et mouvant d’une audacieuse adolescente bien en chair suivie des yeux par les deux maçons qui élèvent un petit mur de pierres sèches devant la terrasse du bar. 


clocher_petit

 

Le clocher du XIIIè s. sonne à deux reprises les heures et demi-heures. Le son grave, superbe continue à vibrer et s’enrouler dans les airs avec bonheur. Ceux qui sont aux champs sont assurés d’entendre s’ils n’ont pas bien compté les coups de bronze depuis le début.

cito_down

 

Cito est un ours légèrement ou fortement caractériel, c’est selon. Nous avons notre vocabulaire, notre complicité et nous rions aux larmes de notre humour un peu particulier, deuxième degré, noir ou raide. Il lui arrive d’être péremptoire, je ne discute pas, je ne suis pas là pour changer son caractère. Je l’écoute beaucoup. Il n’est pas pensable pour moi de rester plus de deux jours en sa compagnie, lui non plus d’ailleurs, mais qu’est-ce qu’on est heureux des moments passés ensemble !

cito_up

 

La maison de village qu’il occupe est petite et étroite, composée de trois pièces.

Cuisine au rez-de-chaussée, séjour au premier, chambre au deuxième, même volume, comme des cubes empilés. J’aime bien chez lui.
Il est excellent photographe. Il a beaucoup voyagé.

Il est revenu de tout.

balcon_petit

 

Je dors dans le clic-clac déplié dans le séjour. Au petit-matin, je relève la persienne et retourne au lit, face au balcon. A l’aube, la terre exhale un brouillard bleuté, au loin le chant d’un coq, les pies féroces foncent comme des tueuses, les hirondelles affairées sillonnent le ciel à la recherche de je ne sais quoi.

Le voisin met discrètement le moteur Diesel de sa voiture en route.

Les draps blancs en coton non repassé sont frais et délicieux.

 

licorne_petit

Petit déjeuner suivi d’une balade.

Sur une pâture, un cheval blanc.

Je songe à ma petite amie Marie, six ans. Elle est passionnée par les licornes.

Nous jouons souvent avec une boule de verre que l’on secoue, des paillettes dorées retombent sur une licorne au centre. Nous sommes fascinées toutes les deux. Après lui avoir raconté comment les fées écrivent des lettres et avant l’ultime câlin du soir, nous répandons la pluie d’or sur la licorne.

Alors... cette silhouette blanche ?…

cuisine_petit

 

Déjeuner dans la pénombre de la cuisine.

La bouteille de viognier est présente à mon intention. Il boit de l’eau.

Nous croquons de grosses tranches de concombre frottées de sel de Guérande,

nous tartinons le fromage de chèvre de Puimichel.

La moto est sous la fenêtre.

Il fait très chaud dehors.

Silencieux ou rieurs, nous sommes bien.

 

Il a voulu que j’emporte la bouteille entamée.

Elle est vide, chez moi. J’ai enlevé l’étiquette et la couronne d’étain.

Il appréciait la forme de la bouteille. Je lui apporterai une prochaine fois avec le joli bouchon qu’il m’a prêté.

J’ai envoyé la photo de la « licorne » à Marie.



Cito est mort en 2006.

La bouteille et le bouchon sont dans ma cuisine.

J’ai eu envie de parler de lui.


Photos polaroïd Océania, 2004

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Commentaires
G
Bonjour,<br /> <br /> Pensez-vous que ses fils aient pu lire ce joli portrait ?<br /> <br /> Cordialement<br /> <br /> geneviève
A
Un jour je suis allé à Porquerolles pour voir Monsieur Cito. Nous avons parlé de Puimichel puisque là-haut était notre commun.<br /> Nous nous voyions très régulièrement. Puis un matin de marché à Oraison, il est venu me dire qu'on ne se verrait plus, qu'il était incurable, qu'il partait...<br /> J'ai de lui des nuages en polaroïd.
L
ce texte de l'amitié, qui se déroule dans un paysage de soleil, à l'abri des indiscrets. Nous sommes plongés dans cette atmosphère de complicié et de différence, nous comprenons l'histoire de cet ami qui fut A.A....et nous apprenons qu'il est mort. Et qu'un besoin de parler de lui nous a donné ce texte beau et fort. Il faut parler des absents que nous avons aimés. Meri pur ce récit où la clarté surnage.
R
Doux. Tendre. Paisible. Vrai.<br /> Merci.<br /> René.
P
très touchant que dès les premières lignes " Il vivait à Bruxelles, ensuite à Porquerolles.<br /> <br /> Il était aisé, aujourd’hui il vit modestement à Puimichel. ", je me suis dis que cet ami aimé aller nous quitter à la fin du texte.<br /> Comme une prémonition cet imparfait...<br /> Bonne journée baignée des souvenirs forts de l'amitié...
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