Philippe Seurin (Les mots)
Les mots
Je me lève ils se lèvent
je me couche ils se couchent
Où que je sois
ils sont là aux quatre coins de mon humeur
J'ai tellement besoin des mots
de tous ces mots
qui dansent qui valsent qui s'échappent
les mots goutte à goutte jongleurs de la lune
les mots à la bouche les mots pour le dire
que l'on voudrait avoir à soi pour soi près de soi
les mots qui étonnent détonnent électrisent
les mots des Grands les gros les grands mots
les mots du café d'en face qui sortent après minuit
les mots qui font mal les mots qui passent
les mots tout petits pour les tout-petits
les mots de la première fois
les mots éternels qu'on n'ose pas dire parce que c'est
l'autre
les mots si beaux si ténus qui font toc-roc et tic-tac
les mots doux les mots de Mai
les mots qui jouent les mots qui se donnent rendez-vous
sur des balançoires et des musiques
D'un regard un seul
je les soupèse je les retourne
je les pâte à modeler je les avale
je les laisse je les reprends je les titille et je les
déshabille
brusquement l'un après l'autre au hasard des secondes
et il, deviennent diamants du jour ou amants de la nuit
Faut-il écrire ? Faut-il parler ?
Plus j'attends plus c'est la nuit et sa bande de mots
qu'on redoute et qu'on connaît par coeur
Les menhirs les caméléons les sourds-muets
les passés la date à la gueule défoncée
les vicieux anonymes assoiffés de sang vierge
les justiciers les éclopés d'âme
qui pètent plus haut que leurs culs
et qui couchent avec une année de sentiments
ceux qui vous empêtrent ceux qui éclaboussent
ceux qui se cachent dans le blanc des yeux blancs
qu'on dira plus tard et que plus tard c'est déjà trop tard
Il est 5 h 32 !... Vous manquez d'humour
Moi ce que j'aime ce sont des mots
qui sentent qui tourbillonnent sitôt dits sitôt faits
les mots de la chance les youpi les hop là
avec de la crème chantilly
les inattendus les nouveaux les rigolos
comme des fruits comme des mangues
qui rendent ivres
ceux qui font vrai ceux qu'on agite
et patatras au bout de la langue se coincent sur le quai
d’une gare
ceux qui donnent courage puis qu'on envoie comme des filets
sur les passants qui se marchent sur les pieds pour les
attraper
les mots fous les mots de paix les mots à fleur de mot…
Comme je vous en veux parfois de n'être que des mots ...
Mais qu'est-ce que je vais faire de vous ?
Une histoire ? une prison ? un poème ?
- Non ! Pas de poème !
J'ai trouvé
je ne ferai rien
... Je continuerai à parler !
In « Mots-Maux »
Photo Océania