Colette (Nudité)
Il marqua davantage
encore son contentement lorsque la Revue des Folies-Bergère peupla, d'une foule
choisie et nue, le blanc décor. Plus brunes sur champ immaculé, les gorges
fières, les longues jambes, les douces épaules évoluèrent, au gré d'une musique
si désireuse d'être aimable à tous que chacun pouvait, selon son goût,
l'écouter ou ne point l'entendre.
Les dames nues, dont la
tête seule était parée de joyaux et de voiles, servirent de fond à d'autres
dames, que leur vêture complète autorisait à des pas et des mimiques vives.
Aux Folies-Bergère, un long, un judicieux emploi de la beauté sans voiles
apaise, dans leurs gestes et l'expression de leur visage, les figurantes et
les danseuses assez belles pour endurer l’attention de mille et mille paires d’yeux.
Une chair sans défaut semble suffire à les douer d'une sérénité qui écarte la
grivoiserie.
La statuaire dota toujours Vénus d'un grand oeil vide, d'une étroite bouche qui
ne sourit pas, d'un petit front fermé et dur. Tout le long de toutes les Revues
des Folies, auxquelles je suis depuis si longtemps assidue, Vénus diverse a coutume
de se tenir debout, dévoilée et paisible, à peine agitée par un petit pas de
danse modeste, qui n'ébranle point ses seins sur leur base, ni ne risque de
faire choir la feuille de platane, le médaillon de saphir, le brin de mimosa
qu'exige - mais les exige-t-elle ? - la pudeur. Amendée, remaniée par la mode,
épanouie des hanches en 1900, moins mammelue mais plus ensellée vers 1910,
Vénus se rallie aujourd'hui à un gabarit assez curieux, taille évidée et gorge
en surplomb comme une Eve d'Albert Dürer.
Telle quelle, Vénus 1940
arrête, rien qu'en paraissant, les gros rires qui applaudissent les sketchs
comiques, les pugilats, les gifles. Car la nudité intégrale n’appelle pas la
frénésie. A sa vue, les visages ne s'avilissent pas. Elle s'est délivrée peu à
peu de l'affreux maillot rosâtre, des colliers, des plaques d'émail. Elle eut
autrefois le tort de danser, car il ne sied qu'à l'enfance de danser nue.
Consacrée par l’aristocratie londonienne, elle s'appela Maud Allan ; le
snobisme français imposa Mata-Hari, qui d'ailleurs cacha toujours - pour cause -
sa gorge. Colette Andris, la plus nue et la plus gracieuse, fut trop prompte à
mourir.
L'ordre revient après l’erreur,
une harmonieuse immobilité relative saisit la nudité féminine, parure des
grands spectacles de music-hall.
Car la plupart sont, d'humeur paisible, avec un penchant pour la nonchalance,
la vie régulière et la modestie. Si je me trompe, c'est qu'elles ont beaucoup
changé depuis que je ne foule plus le plancher incliné, le versant ensoleillé
et multicolore que borne la rampe. Je l'ai quitté au moment où la femme sans
voile accoutumait le public à sa présence agréable et muette, prêtait au
déploiement d'un spectacle sa lumineuse blancheur, son ombre de balustre
galbé.
L'une, que je connus,
était aussi belle qu'avare de paroles. Dans les coulisses, elle acceptait, un
bonbon avec une confusion puérile, son bras nu tendu hors d'un peignoir éponge.
Eclatante sur la scène, elle passa toujours inaperçue en sortant, minuit sonné,
du music-hall. Le curieux, le passionné de belles formes, s'il l'attendit, ne
la reconnaissait pas. Epaissie sous le paletot de confection, coiffée d'un
chapeau anonyme qui cachait le grand étendard, replié, de ses cheveux noirs,
elle allait, indifférente, et secrètement blanche comme l'amande dans sa coque
sèche.
In « Belles saisons »