Alberto Manguel
Socrate affirmait que la
lecture ne peut qu'éclairer ce que le lecteur sait déjà, et qu'on ne peut
acquérir la connaissance par le truchement de lettres mortes. Les érudits du
haut Moyen Age cherchaient dans la lecture une multiplicité de voix convergeant
en une voix unique, le logos de Dieu.
Pour les maîtres humanistes de la fin du Moyen Age, le texte (y compris la
lecture faite par Platon des propos de Socrate) et les commentaires successifs
des diverses générations de lecteurs impliquaient de façon tacite la possibilité
non point d'une seule, mais d'une infinité de lectures nourries les unes des
autres.
Notre lecture scolaire des discours de Lysias était influencée par des siècles
dont leur auteur n'avait eu aucune idée — pas plus qu'il n'en avait de
l'enthousiasme de Phèdre ni des commentaires rusés de Socrate.
Les livres rangés sur mes étagères ne me connaissent pas avant que je les
ouvre, et pourtant je suis certain qu'ils s'adressent à moi en m'appelant par
mon nom ; ils attendent mes commentaires et mes opinions. Je suis pressenti
dans Platon comme je le suis dans tous les livres, même dans ceux que je ne
lirai jamais.
In « Une histoire
de la lecture »
Photo Océania - Sculpture devant la
librairie « Le Bleuet » à Banon