Nicolas Frize
Que peut
signifier : donner du sens ?
Tout le monde peut mettre
du sens partout et faire croire qu'il en produit tout en ne faisant rien. On a
mille fois entendu des artistes, des intervenants de toute sorte, des visiteurs
ou des aumôniers, des surveillants ou des éducateurs, raconter avec
complaisance qu'une action entreprise par leurs soins (même modeste, parfois
seulement une conversation), avait apporté une révélation à un détenu, stimulé
une prise de conscience, une acceptation de soi ou un état de sérénité, ouvert
une brèche, se posant ainsi en héros de la charité, en authentiques médecins
des âmes et des consciences !
C'est oublier un peu vite
que c'est l'autre, le détenu, qui accomplit tout le travail, le désire puis se
l'approprie, qui le transforme et s'y ouvre, qui le recrée. Surtout, il reste
seul juge du résultat de ce cheminement, au risque de contrarier nos héros qui
n'en retirent qu'une satisfaction narcissique. Tout être prisonnier d'une
cellule de neuf mètres carrés, d'une cave humide et ténébreuse, d'une île
déserte ou de la cime d'un arbre tirera ses propres enseignements, sortira
transformé de cette expérience qui le place en position de survie, de pensée et
de construction. Que les geôliers revendiquent un rôle d'auteur de ces transformations
et les portent à leur crédit (comme on l'entend souvent, « Il a beaucoup
réfléchi », « Il dit lui-même que sans la prison, il n'aurait jamais compris !
», etc.) est un scandale et une honte. Dans n'importe quelle situation,
l'homme est capable d'élaboration, même sous les coups ; que le bourreau ne
s'avise pas d'y trouver une récompense ou une justification !
In « Le sens de
la peine »