Yannick Haenel
Vous descendez vers la
fraîcheur des thermes gallo-romains, dans l'odeur humide de la terre. Il y a
des statues des Apôtres, des frises, des chapiteaux, des couronnes votives, une
rose d'or, des châsses en émail. Vous distinguez enfin, au bas d'un escalier,
une petite pancarte en forme de flèche : « Vers la Dame à la licorne ». Vous
prenez l'escalier, vous entrez dans la pénombre, et ça y est, elles sont là.
Elles sont six : six
tapisseries qui se regardent en demi-cercle. C'est du rouge, du bleu, du jaune,
du vert, du rouge surtout, un rouge qui vous prend les yeux. Ce sont des femmes
sur des îles : une grande solitude féminine - une solitude qui a l'air
enchanté.
Elles sont là, toutes les
six, et à travers ce rouge, ce bleu, ce jaune, ces visages et ces archipels, ce
qui vous saute aux yeux, d'une manière opulente, c'est la poésie.
Vous ne saisissez pas
bien de quoi il s'agit, tout ce rouge, ces gestes de femmes, ces animaux, ces
bijoux, ces armoiries. Les délicatesses foisonnent, elles volent partout. La
tête vous tourne. Vous sentez que vous en aurez pour des heures, des journées
entières à goûter ce luxe. Vous cherchez la bonne distance pour les regarder.
Il y a des petits bancs au milieu de la salle. Vous vous asseyez.
À chaque fois, sur fond
rouge, une île bleu indigo, et les personnages sont là : il y a la dame, blonde
aux yeux bleus, longiligne, le grand front clair des vierges flamandes, les
cheveux en cascade tressés de ruban de soie et de perles, le buste étroit. Elle
est couverte de satins, de velours, de diadèmes, et ses tenues de brocart ont
des entrelacs de fleurs et de feuilles.
Il y a une servante, il y
a un lion et une licorne, de petits animaux, et des gestes qui composent à travers
des buissons de signes une scène où vient se tramer, silencieusement, un
mystère.
Un oranger, un chêne, un
pin, un buisson de houx encadrent à chaque fois la tapisserie. Un blason - « de
gueules à la bande d'azur chargée de trois croissants montants d'argent » -
occupe les bannières, les étendards, les écus, les capes d'armes. Et des fleurs
: roses, myosotis, jacinthes, pâquerettes, ancolies, campanules, pensées,
soucis, oeillets, marguerites, violettes, forment un jardin de couleurs.
Comment s'ouvrir à cette
abondance ? Les descriptions ne suffiront pas, les stocks d'études non plus.
Si vous désirez vraiment rencontrer ces tapisseries - entrer en rapport avec
une telle clairière de nuances -, il faudra vous laisser aller à l'aventure ;
et vivre personnellement le trésor.
In, « A mon seul désir », éditions Argol 2005