Gaston Bachelard (Flamme)
La contemplation de la
flamme pérennise une rêverie première. Elle nous détache du monde et elle
agrandit le monde du rêveur. La flamme est à elle seule une grande présence,
mais, près d'elle, on va rêver loin, trop loin : « On se perd en rêveries. » La
flamme est là, menue et chétive, luttant pour maintenir son être, et le rêveur
s'en va rêver ailleurs, perdant son propre être, en rêvant grand, trop grand —
en rêvant au monde.
La flamme est un monde
pour l'homme seul.
Alors, si le rêveur de
flamme parle à la flamme, il parle à soi-même, le voici poète. En agrandissant
le monde, le destin du monde, en méditant sur le destin de la flamme, le rêveur
agrandit le langage puisqu'il exprime une beauté du monde.
Par une telle expression pancalisante, le psychisme lui-même s'agrandit,
s'élève. La méditation de la flamme a donné au psychisme du rêveur une
nourriture de verticalité, un aliment verticalisant. Une nourriture aérienne,
allant à l'opposé de toutes les « nourritures terrestres », pas de principe
plus actif pour donner un sens vital aux déterminations poétiques.
Nous reviendrons sur ces déterminations en un chapitre spécial pour illustrer
le conseil de toute flamme : brûler haut, toujours plus haut pour être sûr de
donner de la lumière.
Extrait de l’avant-propos de « La flamme d’une chandelle »