Roger BODART
Suis-je vraiment…
Qui noircissait sa bouche
en mangeant des myrtilles
Et qui buvait avidement
L'eau froide du ruisseau
dans ses paumes unies ?
Vers les vergers où, dans
les vagues dénouées
De la lumière du matin,
Les pommiers ronds
flottaient, immobiles bouées.
J'étais grand comme un
arbre et beau comme une bête.
Mes cris comme un essaim
de flèches trouaient l'air.
J'étais enfant, j'étais poète
*
Celui qui s'en allait,
ayant comme couronne
Tout autour de son front
noué des anémones,
Cet enfant-là n'est-il pas mort ?
Sais-je encor chanter
comme un Dieu,
Ecouter se frôler en
sifflant les fougères,
Regarder monter dans les
cieux
Inlassable comme le
temps,
L'escadre vaporeuse et
vaste des nuages
Au-dessus du monde
flottant ?
Mon front se penche si
souvent.
- Dis, mon cœur, suis-je
encor ce merveilleux poète,
Suis-je encor vraiment
cet enfant ?
Photo Robert Doisneau