Francis Ponge (Le vin)
Le rapport est le même
entre un verre d'eau et un verre de vin qu'entre un tablier de toile et un
tablier de cuir.
Sans doute est-ce par le
tanin que le vin et le cuir se rejoignent.
Mais il y a entre eux des
ressemblances d'une autre sorte, aussi profondes : l'écurie, la tannerie ne
sont pas loin de la cave.
Ce n'est pas tout à fait
de sous terre qu'on tire le vin, mais c'est quand même du sous-sol : de la
cave, façon de grotte.
C'est un produit de la
patience humaine, patience sans grande activité, appliquée à une pulpe
douceâtre, trouble, sans couleur franche et sans tonicité.
Par son inhumation et sa
macération dans l'obscurité et l'humidité des caves ou grottes, du sous-sol,
l'on obtient un liquide qui a toutes les qualités contraires : un véritable
rubis sur l'ongle.
Et, à ce propos, je dirai
quelque chose de ce genre d'industrie (de transformation) qui consiste à placer
la matière au bon endroit, au bon contact… et à attendre.
Un vieillissement de
tissus.
Des adultes (déjà un peu sur le retour).
L'alcool et l'acier sont
d'une autre trempe ; d'ailleurs incolores. Il en faut moins.
Le bras verse au fond de
l'estomac une flaque froide, d'où s'élève aussitôt quelque chose comme un
serviteur dont le rôle consisterait à fermer toutes les fenêtres, à faire la
nuit dans la maison ; puis à allumer la lampe.
À enclore le maître avec
son imagination.
La dernière porte claquée
résonne indéfiniment et, dès lors, l'amateur de vin rouge marche à travers le
monde comme dans une maison sonore, où les murs répondent harmonieusement à son
pas,
Où les fers se tordent
comme des tiges de liseron sous le souffle émané de lui, où tout applaudit,
tout résonne d'applaudissement et de réponse à sa démarche, son geste et sa
respiration.
L'approbation des choses
qui s'y enlacent alourdit ses membres. Comme le pampre enlace un bâton, un
ivrogne un réverbère, et réciproquement. Certainement, la croissance des
plantes grimpantes participe d'une ivresse pareille.
Danse plutôt qu'elle ne
brille. Fait danser plus qu'elle ne brûle ou consume.
Transforme les corps
articulés, plus ou moins en guignols, pantins, marionnettes.
Irrigue chaleureusement
les membres, animant en particulier la langue
En toute confiance, il parle.
Tandis que l'eau garde
mieux son secret ; du moins est-il beaucoup plus difficile à déceler, à saisir.
In, « Pièces"
Photo "Le vin à l'oeil ": ici