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Voyage dans les mots
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26 mars 2007

Pablo Neruda

oc_an_Michel_3_luneSans_titre

                                                                         Photo Dauzonroch

La lettre en chemin

Au revoir, mais tu seras

présente, en moi, à l'intérieur

d'une goutte de sang circulant dans mes veines

ou au-dehors, baiser de feu sur mon visage

ou ceinturon brûlant à ma taille sanglé.

Accueille, ô douce,

le grand amour qui surgit de ma vie

et qui ne trouvait pas en toi de territoire

comme un découvreur égaré

aux îles du pain et du miel.

Je t'ai rencontrée une fois

terminée la tempête,

la pluie avait lavé l'air

et dans l'eau

tes doux pieds brillaient comme des poissons.

Adorée, me voici retournant à mes luttes.

Je grifferai la terre afin de t'y construire

une grotte où ton Capitaine

t'attendra sur un lit de fleurs.

Oublie, ma douce,

cette souffrance

qui tel un éclair de phosphore

passa entre nous deux

en nous laissant peut-être sa brûlure.

La paix revint aussi, elle fait que je rentre

combattre sur mon sol,

et puisque tu as ajouté

à tout jamais

à mon coeur la dose de sang qui le remplit

et puisque

j'ai à pleines mains ta nudité,

regarde-moi,

regarde-moi,

regarde-moi sur cette mer où radieux je m'avance,

regarde-moi en cette nuit où je navigue,

et où mer et nuit sont tes yeux.

Je ne suis pas sorti de toi quand je m'éloigne.

Maintenant je vais te le dire :

ma terre sera tienne,

je pars la conquérir,

non pour toi seule

mais pour tous,

pour tout mon peuple.

Un jour le voleur quittera sa tour.

On chassera l'envahisseur.

Tous les fruits de la vie

pousseront dans mes mains

qui ne connaissaient avant que la poudre.

Et je saurai caresser chaque fleur nouvelle

grâce à tes leçons de tendresse.

Douce, mon adorée,

tu viendras avec moi lutter au corps à corps:

tes baisers vivent dans mon coeur

comme des drapeaux rouges

et si je tombe, il y aura

pour me couvrir la terre

mais aussi ce grand amour que tu m'apportas

et qui aura vécu circulant dans mon sang.

Tu viendras avec moi,

je t'attends à cette heure,

à cette heure, à toute heure,

je t'attends à toutes les heures.

Et quand tu entendras la tristesse abhorrée

cogner à ton volet,

dis-lui que je t'attends,

et quand la solitude voudra que tu changes

la bague où mon nom est écrit,

dis-lui de venir me parler,

que j'ai dû m'en aller car je suis un soldat

et que là où je suis,

sous la pluie ou

le feu,

mon amour, je t'attends.

Je t'attends dans le plus pénible des déserts,

je t'attends près du citronnier avec ses fleurs,

partout où la vie se tiendra

et où naît le printemps,

mon amour, je t'attends.

Et quand on te dira: « Cet homme

ne t'aime pas », oh! souviens-toi

que mes pieds sont seuls dans la nuit, à la recherche

des doux petits pieds que j'adore.

Mon amour, quand on te dira

que je t'ai oubliée, et même

si je suis celui qui le dit,

même quand je te le dirai

ne me crois pas,

qui pourrait, comment pourrait-on

te détacher de ma poitrine,

qui recevrait

alors le sang de mes veines saignant vers toi ?

Je ne peux pourtant oublier

mon peuple.

Je vais lutter dans chaque rue

et à l'abri de chaque pierre.

Ton amour aussi me soutient :

il est une fleur en bouton

qui me remplit de son parfum

et qui, telle une immense étoile,

brusquement s'épanouit en moi.

Mon amour, il fait nuit.

L’eau noire m'environne

et le monde endormi.

L'aurore ensuite va venir,

entre-temps je t'écris

pour te dire : «Je t'aime. »

Pour te dire « Je t'aime », soigne,

nettoie, lève,

protège

notre amour, mon coeur.

Je te le confie comme on laisse

une poignée de terre avec ses graines.

De notre amour des vies naîtront.

De notre amour on boira l'eau.

Un jour peut-être

un homme

et une femme

à notre image

palperont cet amour, qui aura, lui, gardé la force

de brûler les mains qui le touchent.

Qui aurons-nous été ? Quelle importance?

Ils palperont ce feu

et le feu, ma douce, dira ton simple nom

et le mien, le nom que toi seule

auras su parce que toi seule

sur cette terre sais

qui je suis, et que nul ne m'aura connu comme toi,

comme une seule de tes mains,

que nul non plus

n'aura su ni comment ni quand

mon coeur flamba uniquement

tes grands yeux bruns,

ta large bouche,

ta peau, tes seins,

ton ventre, tes entrailles

et ce coeur que j'ai réveillé

afin qu'il chante

jusqu'au dernier jour de ta vie.

Mon amour, je t'attends.

Au revoir, amour, je t'attends.

Amour, mon amour, je t'attends.

J'achève maintenant ma lettre

sans tristesse aucune : mes pieds

sont là, bien fermes sur la terre,

et ma main t'écrit en chemin :

au milieu de la vie, toujours

je me tiendrai

au côté de l'ami, affrontant l'ennemi,

avec à la bouche ton nom,

avec un baiser qui jamais

ne s'est écarté de la tienne.

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