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Voyage dans les mots
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19 mars 2007

Lucio Mariani

grille_de_prison

                                                           Sur une lecture de poèmes en prison

à Giuseppe Gioacchino Belli

Le mois de mai était de retour à Rome. Sur les pentes escarpées de la colline
on voyait des touffes de menthe et de chicorée. La rousserolle effarvate
se balançait hardiment dans la roselière au bord du ruisseau
et improvisait son parcours joyeux sur l'échine du jardin.
Du Janicule à la Lungara, le soleil s'engageait
dans une course contre les tuiles blondes pour inonder
d'urgente lumière le kiosque à journaux et le pavé.
Il marchait sur le côté de la rue
dessiné par un tranchant d'ombre exact, prenant garde
aux folies d'un chat devant un sac abandonné.
C'était l'après-midi en son moment de paix.
On n'entendait que les bruits de la campagne urbaine.

Lecteur passionné de poètes
c'est ici qu'il devait exercer son art.
Il franchit la porte des destins déchus
pour rencontrer les reliquats inquiets des frères pris
dans les quartiers du mal.
C'étaient les jugés, les bannis, les Autres
entassés et reclus dans le ventre du bâtiment
qu'un cacique à l'ironie mauvaise
voua naguère à la Reine des Cieux.
Entre les murs blancs un long couloir
le propulsa sur une estrade.
Ils étaient nombreux à l'attendre, le regard fiché en terre.
Ils étaient nombreux, tous semblables
et ne paraissant plus attendre aucun geste
qui ne fût geste d'affront. Douloureuses
des minutes passèrent pendant lesquelles il ne vit rien.
Soudain il empoigna d'une main ferme le pupitre
et devant les gardiens frappés de stupeur
il répandit sur ce peuple de loques
les épisodes d'une grande poésie.
Il lut les mots élémentaires et violents
de l'aède qui affronte Dieu,
parle de la vie et de la mort,
de l'âme et du moi, d'ardeur charnelle
et de la métaphysique des fautes
qui ne connaissent jamais de fin.
Le chant prit son envol et lubrifiant déjà
les gonds de l'entendement chez ceux qui l'écoutaient,
il défit les nœuds
changea les regards et les visages peu à peu attentifs
dérouta les menaces du sort
et les quintes de toux des sceptiques — effigies arrimées
tout entières au passé — , caressa leurs esprits
en les rappelant à une même expérience de vie
et ouvrit les volets du printemps
au plein vent des sourires.
C'était le finale,
un peu de lumière du mai romain
s'engouffra dans les geôles bouleversées.

Puis il s'enfuit très loin

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