Philippe Jaccottet
Accepter le travail,
l'effort. Préférer le proche, où le mal est inséparable du bien, aux lointains
où règne une clarté pure, mais peut-être fausse, ou morte.
Préférer aux hommes qui
ne jurent que par la perfection d'un Absolu et qui sont souvent dangereux, les
sceptiques actifs, les endurants, les obstinés.
On se retrouverait alors, simplement, parmi les autres (dans la troupe).
Beaucoup d'hommes en effet ont choisi cette voie, ou la suivent plutôt sans
même y avoir jamais pensé. Sans faire tant d'histoires. Ce sont des espèces de
soldats, pas du tout fanfarons. Des hommes qui, du fait que leur regard ne se
perd pas dans le lointain, voient mieux ce qu'ils ont à leur portée : hommes de
métiers, liés étroitement aux choses qui ont une matière, une densité, des
noms.
J'ai connu, aimé, vénéré de tels hommes : courts de vues, et d'autant plus
fermes. Il m'arrive de vouloir simplement raconter leur vie. Plutôt qu'à des
pensées, je ferais confiance à leur exemple. Je montrerais leur tranquillité,
leur sagesse un peu placide, leur courage constant, leur modestie, le
rayonnement égal et doux qu'elles répandent. [...]
Ces hommes-là sont
fermes. Devant la mort, et dans la vie même, ils se tiennent généralement
mieux que bien des philosophes — dont la philosophie est née précisément de
leur désarroi, de leur peur.
Il m'arrive donc de penser qu'aux enfants, avant
un certain savoir qui les trouble plus qu'il ne les aide, il faudrait apprendre
la fermeté, l'endurance, et aussi la bonté.
In « A travers un
verger »
Joseph, Georges de la
Tour