Théodore Monod
Le désert, c'est aussi
l'apprentissage de la soustraction. Deux litres et demi d'eau par personne et
par jour, une nourriture frugale, quelques livres, peu de paroles. Les veillées
du soir sont consacrées aux légendes, aux contes, au rire. Le reste appartient
à la méditation, au spirituel. Le cerveau met le cap en avant. Nous sommes
enfin débarrassés des futilités, des inutilités, des bavardages. L'homme, cette
étincelle entre deux gouffres, trace ici un chemin qui s'effacera après son
passage.
Soustraire, se soustraire
; prendre l'essentiel non seulement d'objets mais de pensées, cet allégement
est déjà une philosophie.
Le désert n'est pas complaisant. Il sculpte l'âme. Il tanne le corps.
Il faut supporter le soleil intense du jour, le froid de la nuit. Trouver de
l'eau, cette richesse. Supporter de perdre le sens du temps et de l'espace.
Ceci n'est pas réservé qu'aux novices.
Si ce vertige prend un Touareg, vous le verrez s'allonger, se recouvrir de son
burnous. L'arrêt, le sommeil, l'obscurité, le silence le recentrent. Car le
désert, dans le Ténéré par exemple, offre, comme la mer, un horizon perpétuellement
circulaire. [...]
Les nomades se réfèrent
toujours aux astres, au vent. Quelques mots d'un Bédouin m'ont toujours plus
appris que ceux des professeurs. C'est pourquoi j'interroge toujours les
pèlerins du désert. Leur acuité visuelle, mentale, instinctive est admirable.
Le nomade s'appuie sur des repères infimes dans un paysage quasi désertique :
une bande de sable de telle couleur, un ensemble de pierres de telles formes.
L'homme est lié au paysage et sa vigilance lui garantit une liberté toujours
fragile.
In « Le chercheur d’absolu »
« Mère et
fille » photo Thérèse 2001