Julien Gracq (L'explorateur)
Voici le dernier texte
avant mon départ pour Naples et la côte amalfitaine
Je serai absente du 18
septembre au 1er octobre.
Merci de votre
fidélité.
Océania
J'ai vécu de peu de
choses comme de ces quelques ruelles vides et béantes en plein midi qui
s'ensauvageaient sans bruit dans un parfum de sève et de bête libre, leurs
maisons évacuées comme un raz de marée sous l'écume des feuilles.
Pareilles à ce panache de
l'explosion d'une poudrière qui dégonfle une ville, de grandes masses de
verdure orageuse roulaient un ciel sombre au-dessus des toits crevés.
L'après-midi me retrouve devant un haut mur de parc aveugle, tendant
l'oreille, comme on surprend un bruissement de feuilles derrière une porte.
A l'air libre, trempé
soudain de soleil tournoyant comme par une fanfare, mes pieds amoureusement
ravivant la pente secrète d'une colline longue comme une joue, je redescendais
chaque soir aux champs calmes, les mains pleines comme celui qui touche une
femme, appuyant le front encore, les yeux fermés, ainsi que le coeur manque et
qu'on marche en dormant, au songe odorant et au vide sous le soleil de ce
village accoudé à la forêt comme un après- midi d'été au balcon de sa nuit
sauvage.
In « Réalités secrètes »
Photo Océania