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Voyage dans les mots
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8 janvier 2008

Francis Ponge (La pomme de terre)

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Peler une pomme de terre bouillie de bonne qualité est un plaisir de choix.
Entre le gras du pouce et la pointe du couteau tenu par les autres doigts de la même main, l'on saisit — après l'avoir incisé — par l'une de ses lèvres ce rêche et fin papier que l'on tire à soi pour le détacher de la chair appétissante du tubercule.
L'opération facile laisse, quand on a réussi à la parfaire sans s'y reprendre à trop de fois, une impression de satisfaction indicible.
Le léger bruit que font les tissus en se décollant est doux à l'oreille, et la découverte de la pulpe comestible réjouissante.
Il semble, à reconnaître la perfection du fruit nu, sa différence, sa ressemblance, sa surprise — et la facilité de l'opération — que l'on ait accompli là quelque chose de juste, dès longtemps prévu et souhaité par la nature, que l'on a eu toutefois le mérite d'exaucer.

C'est pourquoi je n'en dirai pas plus, au risque de sembler me satisfaire d'un ouvrage trop simple. Il ne me fallait — en quelques phrases sans effort — que déshabiller mon sujet, en en contournant strictement la forme : la laissant intacte mais polie, brillante et toute prête à subir comme à procurer les délices de sa consom­mation.
...Cet apprivoisement de la pomme de terre par son traitement à l'eau bouillante durant vingt minutes, c'est assez curieux (mais justement tandis que j'écris des pommes de terre cuisent — il est une heure du matin — sur le four­neau devant moi).

Il vaut mieux, m'a-t-on dit, que l'eau soit salée, sévère : pas obligatoire mais c'est mieux.
Une sorte de vacarme se fait entendre, celui des bouillons de l'eau. Elle est en colère, au moins au comble de l'in­quiétude. Elle se déperd furieusement en vapeurs, bave, grille aussitôt, pfutte, tsitte : enfin, très agitée sur ces char­bons ardents.
Mes pommes de terre, plongées là-dedans, sont secouées de soubresauts, bousculées, injuriées, imprégnées jusqu'à la moelle.
Sans doute la colère de l'eau n'est-elle pas à leur pro­pos, mais elles en supportent l'effet — et ne pouvant se déprendre de ce milieu, elles s'en trouvent profondément modifiées (j'allais écrire s'entrouvrent...).
Finalement, elles y sont laissées pour mortes, ou du moins très fatiguées. Si leur forme en réchappe (ce qui n'est pas toujours), elles sont devenues molles, dociles. Toute acidité a disparu de leur pulpe : on leur trouve bon goût.
Leur épiderme s'est aussi rapidement différencié : il faut l'ôter (il n'est plus bon à rien), et le jeter aux ordures...
Reste ce bloc friable et savoureux, — qui prête moins qu'à d'abord vivre, ensuite à philosopher.

In, « Pièces »
Photo ?

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Commentaires
K
Bonjour, j'utilise ce poème dans le cadre d'un travail en cours et je ne trouve sa date nulle part ... Aurais-je mal cherché ?
T
Oui, tout est si bien dit.<br /> <br /> La Ponge : échauder la duchesse et éplucher sa robe<br /> <br /> Si on la prend à part entière alors vive la parmentière!<br /> <br /> Ce tubercule hélas n'inspire pas que des éloges.<br /> <br /> C'est qu'elle a ses détracteurs la pomme de terre<br /> <br /> Elle a ses points noirs: lente elle fécule et germe <br /> <br /> Cette convolvulacée (fichtre:ce mot donne des idées)<br /> <br /> s'est entendu traiter de préservatif contre la famine<br /> <br /> De fade, molle et peu avenante elle fut accusée<br /> <br /> <br /> <br /> Alors plutôt que de croquer sa chair tendre encore tiède<br /> <br /> faisons revenir à la poêle cette délicieuse à feux doux <br /> <br /> qu'elle rissole de plaisir, se fristouille aux petits oignons<br /> <br /> La retourner pour mieux la dorer, la chérir au beurre tout chaud<br /> <br /> Assaisonnons la coquine à notre goût, qui n'a d'yeux que pour nous
P
GMC: Ponge ne veut pas faire dans le "in", il s'agit de décrire les choses les plus banales , les plus humbles, que personne ne regarde plus. Ponge les appelle "les témoins muets", qui sont d'après lui sa "seule partie". Pas question donc de "bander pour l'épluchure" comme vous l'écrivez. <br /> <br /> Bref, discours politique qui n'a rien à voir avec ce pauvre Ponge.<br /> <br /> Appréciez la teneur du poème, son rythme, sa construction, son humour ténu, sa précision lexicale...
V
Totem: c'est votre avis. :)<br /> <br /> C'est vrai qu'il lui a fallut subit bien des adaptations depuis son importation en Europe pour devenir ce légume rassassiant, que j'aime savoureux en robe de chambre sans rien dessous, si ce n'est une noisette de beurre...
T
Je suis un fan de Francis Ponge depuis de nombreuses années, son "Parti pris des choses" un de mes préféré. Dans le même genre, Christian Bobin, très à la mode, ne lui arrive pas à la cheville.
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