Antonio Ramos Rosa
Nul ne saurait me concéder le temps d'arrondir cette pierre
qui ferait la sphère polie de tout ce que j'ai amassé
Je tourne autour d'un fossé que je ne vois pas car il est invisible
bien que je sache qu'il faudra y disparaître un jour
Intempestifs seront la chute et l'oeuvre entière ainsi tronquée
mais ses restes seront complets et deviendront contemporains
dans le cercle de ceux qui l'aiment et la reçoivent en odorante pluie
Pourtant qui saura voir le noir aiguillon torsadé
qui déchirait l'ineffable tissu de foudroyantes stries
qui faisait vibrer les syllabes avec la violence voluptueuse
d'un corps qui n'était corps que dans sa soif de l'être ?
Mûrir c'est sentir que tous les pas furent vains
vouloir faire deux pas encore sans savoir pour quoi
et affirmer par eux la durée le mot vif
comme une révérence d'eau un salut d'arbre
Si nulle ou si précaire que soit l'espérance bâtir sera possible encore
afin que quelques mots vibrent comme le métal de leur sang
et aux lèvres et aux yeux amoureux assoiffés
offrent le feu de leur saveur le chatoiement de leur vierge couleur
In, « A la table du vent »
Photo Dauzonroch - Vallée Quebrada de Humahuaca (Cordillère des Andes) -