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Voyage dans les mots
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1 avril 2007

J.-B. Pontalis

table_de_travail

Devant les livres, des images

Pourquoi cette habitude de placer sur les étagères où s'accu­mulent, où s'empilent mes livres, des photographies, des cartes postales, des reproductions de tableaux ? C'est pour moi plus qu'une habitude : une nécessité, comme si je voulais qu'avant d'avoir accès aux pages imprimées des images soient là, à portée de mon regard, comme si seule leur présence allait donner vie, un surplus de vie, à ce qui, autrement, risquait de n'être que discours, mots, lettres, peut-être même lettres mortes.

Ainsi, alors que les livres sont classés selon un strict ordre alphabétique, se créent des voisinages intempestifs. Voisi­nages voulus parfois : la photographie de Sartre fumant sa gitane papier maïs est placée à côté de celle de Flaubert avec sa bouffarde et ses bacchantes de Gaulois; celle de Sylvie Germain devant la Bible qui inspire ses personnages. Plus souvent les voisinages sont arbitraires ou étranges : Merleau-Ponty, en short et en chemise grande ouverte, est à côté du portrait d'un Goethe plutôt compassé, prenant la pose du grand penseur; une photographie du jeune Valéry, col dur et yeux clairs, au visage illuminé, se trouve tout près du Cheval dévoré par un lion de Géricault ; un dessin de Matisse qui, en quelques traits de crayon, nous donne à voir la grâce d'une femme pensive est accolé au portrait de quatre philosophes austères qui jettent un regard réprobateur sur une femme nue, alan­guie, de Modigliani...

Quand je cherche un livre dans ma bibliothèque, je m'at­tarde d'abord un instant sur l'image qui le cache; non, elle ne le dissimule pas, elle me permet au contraire d'aller vers lui.

Cette collection de photographies, de reproductions de tableaux ou dessins constitue pour une part mon « musée imaginaire ». Mais je ne veux pas qu'il demeure immobile, qu'il se fige. Je le renouvelle de temps à autre, je puise dans mes « réserves », j'en sors des cartes postales, achetées au cours d'un voyage ou que m'ont adressées des amis.

Alors mon paysage change et les livres s'animent, se réveillent. Dans une autre pièce, plus intime, sont fixées sur un mur les photographies de ceux que j'aime le plus au monde. Personne ne peut les voir que moi. Elles représen­tent bien plus qu'un paysage. Elles sont ma vie, la source fraîche de ma vie.

In, « Le dormeur éveillé »

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