René Char
Les philosophes d'origine sont les philosophes dont l'existence, l'inspiration, la vue, l'arête et l'expression ne supportent que très peu de temps l'intérieur cloisonné de la pensée didactique.
Ils sont tirés violemment du dehors pour s'unir sans précaution à l'inconnu des êtres, à leur déroutante anthologie, ainsi qu'aux troubles cycloniques de l'univers. Ils possèdent à leur insu un don de nouveauté inaltérable : ils fécondent en s'étoilant et se fertilisent en se creusant.
Ils sont la solitude et le nombre, l'imaginaire et son aire déchiquetée, d'un lointain de cristal, d'une approche de prairie. L'amont de la philosophie ne peut être mesuré correctement par personne. Il s'enflamme dans la nuit humaine et se perd derrière ses multiples tournants.
C'est à cette Histoire sans histoire que s'adossent les poèmes qui se perpétuent en nous éveillant. Ainsi les philosophes et les poètes d'origine possèdent-ils la Maison, mais restent-ils des errants, sans atelier, ni maison.
« Peu si je me considère, beaucoup si je me compare.»
C'est l'écho que le vallon de Vachères, certains soirs, lance aux cieux voisins de la mer.
In, « La Barque à la proue altérée»,
dans L'Endurance de la pensée pour saluer Jean Beaufret
Photo Michel d'Auzon