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Voyage dans les mots
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14 mars 2007

Pontalis

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Le Grand Séparateur

Sur la terrasse de la maison d'amis très chers.
Robert arrose le laurier-rose, tout à l'heure il ira dans son atelier fabriquer des objets bizarres.
Catherine soigne un chat blessé, elle prend soin de presque tous les chats du village, un village qui n'est pas encore trop fréquenté par les touristes venus de Hollande, d'Allemagne, du Japon.
A portée de ma vue, des plantations d'oliviers, le massif du Luberon. Ce grand oiseau là-bas qui plane, ce pourrait être un aigle. A mes pieds dort le chien-loup, plus chien que loup, mais, même s'il était loup, j'imagine qu'il serait comme Baloo d'une affection sans égale. Je me dis, et pour une fois ces mots ne me paraissent pas stupides: « Ici, c'est le paradis. »
De la pile de livres disposés sur la table du salon, j'en extrais un. Je l'ouvre sur la terrasse.
C'est La Genèse dans la traduction très simple, très pure du poète Jean Grosjean.
La Genèse : une succession de séparations.
Séparation de la Lumière et des Ténèbres, du Jour et de la Nuit, de l'Homme, créé à l'image de Dieu, donc séparé de Lui, avant d'être chassé du jardin, définitivement séparé d'une vie d'innocence et d'harmonie. Le premier fleuve, Dieu le divise en quatre. D'une côte de l'homme, il fabrique une femme et c'est la séparation des sexes et ce sera la séparation d'avec les géniteurs : « L'homme quitte son père et sa mère. »
Dans la différence des sexes, qui n'est pas complémentarité, il introduit la haine: « Je mets de la haine entre toi et la femme, entre ta race et la sienne.
Séparation d'avec les fruits savoureux de la terre : « Tu mangeras l'herbe sauvage »
Et, entre frères, la lutte à mort. Entre père et filles, l'inceste.
Le Dieu de la Bible a-t-il voulu que l'histoire des hommes soit tragique et que ce soient eux les seuls coupables ? On dirait que, pour affirmer qu'il est l'Unique, il doive toujours séparer, toujours opérer de nouvelles divisions. Il a fallu le Déluge - ce déluge qui fait que « toute chair qui se meut sur la terre a expiré, les oiseaux, les bestiaux, les animaux, tout ce qui pullule sur la terre et tous les humains » -, il a fallu que, la séparation de la Terre et de la Mer s'effaçant, une régression dans le Temps soit possible.
Alors le Grand Séparateur se calme un peu et, comme revenant aux tout premiers jours, consent à se réconcilier avec l'homme. « Je ne détruirai plus le sol. Je ne frapperai plus tous les vivants comme je l'ai fait. Proliférez, peuples de la terre. »
Courte pause. Séparation des peuples, destruction de villes entières, brouillage des langues afin que « que des hommes ne se comprennent plus entre eux. » Et coupure dans le sexe de l'homme pour mériter l'Alliance.
Je suspends ma lecture. La reprendrai-je plus tard ? Je préfère m'abandonner à ce moment précieux où je me sens en accord avec tout ce qui m'entoure, les plantes, les animaux, mes amis et, est-ce possible, avec moi-même.
L'homme séparé du Grand Autre. Nous a-t-il abandonnés ou est-ce nous qui l'avons rendu absent, le laissant seul dans son vide immense ? Certains chrétiens l'affirment aujourd'hui afin de ne pas tenir leur dieu pour responsable de la Shoah.

Vint le temps des fous, ces aliénés, vint le temps des poètes inspirés, vint celui de Freud pour nous convaincre que chacun n'était jamais séparé que de soi-même, que l'altérité était en nous, que c'était notre lot d'humain. Freud, notre nouveau grand séparateur.
Il arrive quand même que ce qui nous divise et se bat en nous, que nos tourmenteurs nous laissent quelque répit, nous autorisent des moments de totale coïncidence. Sur une terrasse d'été, par exemple.

In, "Fenêtres"

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