Océania (Rome 4)
[...]
J’ai déposé mon barda
chez Giorgio pour quelques jours.
Je me promène seule dans
Rome. Un bonheur !
Le soir, il m’emmène dans
des petits restaurants sympathiques, colorés, savoureux.
Je découvre la cuisine
romaine.
Une partie de son amitié
pour moi réside dans le fait que nous bâfrons ensemble.
La fête de la grande
bouffe. Il rit, rocailleux, d’avoir trouvé son égale.
Fin cuisinier, il ne
tolère pas que l’on perturbe ce moment sacré, l’heure de la dégustation.
Gargantua lyrique, il ne
manque pas d’illustrer, de vanter par un langage imagé toutes les qualités des
ingrédients employés.
Il parle d’un fromage « Fior di latte » comme
d’un Van Gogh.
Ce n’est vraiment pas le
moment de sortir ses tables de calories !
Des silences aussi.
Terribles ses silences.
Son regard se pose sur
moi, me dépasse, revient, repart.
Ses coudes sont sur la
table, il fume.
Pesant et grave, sans un
mot.
J’apprends à connaître
Giorgio.
Sa rugosité graniteuse,
sa marginalité, sa façon de vivre en vieux célibataire.
Il a un ventre de
Bouddha, des traits de sicilien.
Cultivé avec discrétion,
appréciant les gens à l’état brut, mordant les fruits à même la peau comme il a
mordu dans la vie.
Il désire prendre sa
retraite à Ischia. Tu viendras ? Sourire...
J’embrasse ses joues non
rasées, je lui prends le bras, je reçois son plaisir de me donner.
C’est quelque chose de
connaître quelqu’un comme lui.
J’ai vu le soleil
s’enfoncer dans la mer.
J’ai traversé les pinèdes
odorante, fleuries de lauriers roses.
J’ai levé les yeux vers
la lune blonde de Monte Porzio Catone sous laquelle la colline déploie ses
courbes féminines.
Du Château Saint Ange,
longtemps, j’ai suivi la houle des toits de Rome d’où émergent coupoles et
clochers d’une grâce infinie.
Je me suis imprégnée de
leur couleur ocre, souffre, terre de Sienne cédant leur richesse lumineuse à de
généreux espaces verts sous un air léger, léger...
J’aurai usé de tous les
poncifs classiques concernant Rome.
Lucide et sarcastique
quant à mon vocabulaire.
Le cortège panurgeant,
éclectique, fellinien des musées m’aura rendue davantage promeneuse que
visiteuse.
J’aurai marché, amoureuse
de perspectives, d’emboîtements architecturaux.
Une sensibilité inconnue
jusqu’ici se sera éveillée en moi.
Il eût été souhaitable de
me plonger dans des manuels tout ce qu’il y a de plus sérieux pour donner vie
aux pierres antiques.
J’ai préféré me laisser
envelopper par la grâce ambiante et recevoir ce qui me touchait
personnellement.
La magie vaporeuse
imbibant mes yeux de rêve n’est pas exprimée dans les guides touristiques.
Elle ne se mesure ni ne
s’explique, se pèse ni se pâme. Elle est.
Sur pellicule, je n’ai
pas arrêté le temps devant massifs fleuris, monuments baroques, escalier de
marbre ou fresques.
La cascade des fontaines
s’écoule dans mon cœur.
Le merveilleux est en
moi.
Lui attribuer des mots le
déflore.
Photo Lalupa
Fontana del Moro,
Piazza Navona