Hervé Guibert
Au moment de partir, je
laisse toujours un mot sur ma table, pour T., au cas où il passerait chez moi :
« Si tu viens ici pendant mon absence, pense que je pense à toi, souvent,
souvent, jusque dans mon sommeil, et même très loin de toi, comme une incrustation
vivante qui chauffe tous les conduits de mon corps et de ma tête, jusque dans
le froid, jusque dans le vide. Et si je venais à mourir (tu connais mon
fantasme) je voudrais être pour toi cette incrustation-là, qui dilaterait légèrement
ces mêmes conduits, mais en laissant couler beaucoup d'autres flux, sans jamais
peser, comme une présence très forte dans l'oubli et l'affection, loin du
malheur et de l'obsession : en cas de mort je ne veux pas t'obséder, je veux
être un souvenir doux, un anneau invisible, un coeur cousu sans couture, sans
cicatrice, sous ta propre peau... »
In « Le Mausolée
des Amants »
Photo Hervé Guibert