Julien Gracq
Chaque fois que je rouvre
et que je feuillette les menus brûlots collectifs que lâchait périodiquement le
surréalisme encore dans sa sève : tracts, papillons, proverbes, catalogues
d'exposition, revues éphémères, « dictionnaire abrégé du surréalisme », «
projets d'embellissement irrationnel de Paris », je suis frappé par le
talent qui jaillit là de source presque à chaque page, comme si le vent, après
quarante ans, faisait bouger encore et vivre la verdure neuve de cette saison
enchantée. Aucun « mouvement » ne s'est jamais avancé sur un pareil semis
de paillettes scintillantes, et sa force est d'avoir été à lui seul tout un
climat, toute une saison, où les hautes fleurs ne paraissaient si belles que
parce que tout reverdissait avec elles alentour.
Il y a peut-être eu - je
ne sais - des écoles plus riches en génies isolés, mais les fonds du
surréalisme sont d'un éclat et d'une variété auxquels je ne vois point
d'équivalent. Et puis, le beau mai passé, toutes ces aubépines sont montées en
graine, et Breton est devenu ce chêne solitaire qui fait trop d'ombre et laisse
vainement tomber ses glands sur la terre nue.
In
« Lettrines »
Figures du surréalisme