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Voyage dans les mots
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21 mars 2009

Claude Esteban

arbre_Anne_DD_2



Du grand arbre qui se dressait dans le parc, il ne reste que le tronc meurtri et quelques branches. Je croyais pourtant qu'il vieillirait sans fin. C'était un arbre illustre et deux fois cente­naire. Une plaque verte, mangée par la rouille, indiquait son ori­gine et son nom en latin, la date aussi de sa naissance, comme s'il se fût agi d'une personne mémorable, et il l'était en effet. Un chêne roux, majestueux, bruissant à peine sous le vent avec le dôme de ses feuilles brunes qui pâlissaient au soleil.

Nous allions lui rendre visite à l'improviste, un matin, un soir, juste pour nous assurer qu'il était bien là. Sans même nous concerter, nous obéissions à un rituel immuable. Nous le reconnaissions de loin, dominant de toute sa masse l'entrelacs tortueux des pins, et nous marchions vers lui, soudain silencieux, délivrés du bruit du monde. La jeune femme s'approchait la première, elle souriait un peu, s'assurait que personne ne risquait de la surprendre, puis très vite, elle étreignait l'arbre de tout son corps, les bras ouverts en serrant le tronc énorme, la tête contre l'écorce, les yeux clos. Je faisais mine de m'impatienter, je me moquais dou­cement de cette étrange façon de saluer notre ami, de le séduire, mais quand elle se retournait, je lisais dans son regard le bon­heur qu'elle venait de vivre. Elle avait entendu, me disait-elle, battre le coeur de l'arbre, elle avait senti sous ses doigts la sève lente qui montait, qui lui communiquait de sa force.

La jeune femme rayonnait, elle voulait que je suive son exemple, et moi, si pudibond, je m'enhardissais, et j'effleurais d'une main furtive cette monstrueuse patte posée là pour toujours sur la pelouse.

C'était un soir, c'était un matin, et depuis tant d'années. Pour­quoi a-t-il fallu qu'une tempête s'interpose entre l'arbre et nous, que la foudre le blesse, que se réveillent les mauvais démons? Nous n'avons pas cédé, l'arbre est intact dans notre mémoire. C'est à nous, maintenant, qu'il appartient de veiller sur lui, de l'enraciner dans ce temps que nous inventons ensemble.


arbre_Anne_DD_d_tail

 

In « La mort à distance »

Photo  perso

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Commentaires
R
la juste place<br /> <br /> <br /> <br /> -<br /> <br /> <br /> <br /> A sa place, à sa juste place.<br /> <br /> <br /> <br /> C'est ce que nous nous disions, de ce grand corps silencieux, de ce grand corps exposé au vent..<br /> <br /> <br /> <br /> Chacun à son tour, nous nous glissions, - pensant passer inaperçus – près de lui, sous son ombre dense, et nous l'étreignons,<br /> <br /> <br /> <br /> enfin, ce que nous pouvions,<br /> <br /> <br /> <br /> une portion de sa masse cylindrique dressée, la tête contre l'écorce, l'odeur du bruissement de la sève<br /> <br /> <br /> <br /> le murmure changeant du vent dans la ramée... et la caresse lente des feuilles portées par l'automne, qui formait à nos pied cet épais tapis d'ors et de bruns...<br /> <br /> <br /> <br /> Ses membres puissants suspendus bien au-dessus de nos têtes, mais aussi à nos pieds, couverts de mousse.<br /> <br /> <br /> <br /> A sa place, sa juste place..<br /> <br /> <br /> <br /> Maintenant, après la tempête, transmis à ceux qui ont pu résister , le royaume du grand chêne, n'est plus le même...<br /> <br /> <br /> <br /> A sa place, sa juste place, c'est un grand vide, clairière silencieuse.... autour, comme les vassaux d'une cour, les hètres lui rendent hommage.<br /> <br /> <br /> <br /> Mais son tronc, redressé sur place, se délitant peu à peu,<br /> <br /> <br /> <br /> reste, en un signe, la sculpture d'un espace<br /> <br /> <br /> <br /> Et règne , massif, sur la place, - la juste place.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> -<br /> <br /> RC - 26 septembre 2012
G
On peut lire aussi "l'arbre", dans "un soir" :<br /> http://contesparenethibaud.blogspot.com
A
J'aime étreindre les arbres, les caresser, toucher leur mousse, j'aimerais adoucir leurs plaies...
D
La tempête est scie-tronc : le buste droit, le bûcheron sait ensuite où il doit élaguer. <br /> <br /> On connaît peu de femmes pratiquant cette activité autrement qu'avec un appareil photo !
K
Je crois que cette étreinte est indispensable dans la vie.<br /> Je l'ai su assez tôt. Elle m'a tout apporté.
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