Pena-Ruiz
Les cérémonies de
la caresse
Les mains dessinent et
inventent, redessinent et réinventent, dans les volutes renouvelées, le corps
aimé, le corps si vrai de se savoir désir, et désir désiré. Les amants se
découvrent et s'absorbent dans la cérémonie renouvelée. L'intention vive,
esprit pensif où rayonne la chair, se projette dans l'amour. Nulle possession,
dans cette montée tout de respect et d'extase, comme si la vie se faisait art.
Conscience incandescente à la pointe des gestes. Les doigts subtils esquissent
l'imaginaire dans la chair touchée, recomposée, comme reformée de toutes ces
caresses.
Cérémonie lente et
tendue, effacement graduel des distances. L'air est plus vif, qui découvre la
nudité offerte et son frisson immobile. Le dialogue silencieux des corps et des
coeurs libère son mouvement. L'attente s'accomplit, et toute pensée s'incarne,
pour vivre l'aventure de la rencontre.
Caresse. Dans le
mouvement charnel de la conscience, deux moitiés du monde se blottissent contre
la parfaite frontière qui les sépare et les unit. Le corps est à la fois
sentant et senti, quand l'expérience enfin n'est plus simple rencontre
extérieure, mais incarnation mutuelle de la présence à l'éclosion de la
lumière. Qui est sujet ? Qui est objet ? Une étrange fusion maintient distingué
ce qu'elle unit, mais y fait vivre la chaleur dense d'une émotion commune,
source étonnée du paysage des choses.
Objet du désir, le corps
le vit comme conscience. C'est lui qui l'éprouve et il se sait entièrement
habité par lui. Vécue dans la chaleur intime du plaisir, cette distance
intérieure fait aussitôt du corps un sujet qui advient en quelque sorte comme
la forme sensible de la pensée. Les êtres qui se mêlent s'appartiennent à
eux-mêmes tout en vivant comme une magie l'élision des limites. Cette
expérience toujours première n'a qu'un temps, mais elle inonde l'existence de
sa mémoire. Elle restera, vertige d'une dialectique sensible où les
consciences se répondent à jamais. L'amour porte au-delà, furtive expérience
d'éternité. Dans la nuit profonde, il affirme un envol fragile mais définitif.
Le désir est bien ce qui
révèle la chair à elle-même, par-delà les gestes utiles et les habitudes
quotidiennes. C'est qu'il porte la conscience à son point d'incandescence, en
stimulant la faculté d'éprouver où le corps fait l'expérience de l'intention
qui l'exalte. Cérémonial de la rencontre, par laquelle prend vie le partage
projeté. Deux êtres découvrent qu'ils existent pour eux-mêmes dans le moment
précis où ils accèdent l'un à l'autre. Expérience précieuse que fait l'humanité
de son accomplissement natif, de sa conscience révélée à nouveau. L'autre, sans
cesser d'être autre, reste mon semblable dans cette façon de vivre le désir et
de révéler la chair, de m'incarner en s'incarnant lui-même.
L'aventure des sens
touche ici à la pensée la plus vive et la plus légère.
In « Le roman du
monde »
Aquarelle Intralude 1, Pierre de Champ