André Breton (Vigilance)
Vigilance
A Paris la tour
Saint-Jacques chancelante
Pareille à un tournesol
Du front vient
quelquefois heurter la Seine et son ombre glisse imperceptiblement parmi les
remorqueurs
A ce moment sur la pointe
des pieds dans mon sommeil
Je me dirige vers la chambre
où je suis étendu
Et j'y mets le feu
Pour que rien ne subsiste
de ce consentement qu'on m'a arraché
Les meubles font alors
place à des animaux de même taille qui me regardent fraternellement
Lions dans les crinières
desquels achèvent de se consumer les chaises
Squales dont le ventre
blanc s'incorpore le dernier frisson des draps
A l'heure de l'amour et
des paupières bleues
Je me vois brûler à mon
tour je vois cette cachette solennelle de riens
Qui fut mon corps
Fouillé par les becs
patients des ibis du feu
Lorsque tout est fini
j'entre invisible dans l'arche
Sans prendre garde aux
passants de la vie qui font sonner très loin leurs pas traînants
Je vois les arêtes du
soleil
A travers l'aubépine de
la pluie
J'entends se déchirer le
linge humain comme une grande feuille
Sous l'ongle de l'absence
et de la présence qui sont de connivence
Tous les métiers se
fanent il ne reste d'eux qu'une dentelle parfumée
Une coquille de dentelle
qui a la forme parfaite d'un sein
Je ne touche plus que le
coeur des choses je tiens le fil
In "Le revolver
à cheveux blancs"
Photo Mzelle Biscotte
(flickr)