Francis Carco
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Les platanes, troués de
soleil, s'immobilisent dans le soir. Rien ne bouge. La ville se recueille et
s'il est ailleurs des boulevards et des faubourgs encombrés, ici on peut se
retrouver dans le silence. Le café lui-même dispose à ces méditations : il offre
ses longs fauteuils de rotin et ses absinthes qui, dans des gobelets de
cristal, semblent condenser tout un ciel de rêveries précieuses. Mais quelle
langueur vous pénètre, quel chaud à l'âme vous engourdit et vous accoude au
bras bienveillant des chaises longues ! Il ne faut plus bouger : il ne faut
plus remuer seulement la main. Il ne faut même pas abaisser la paupière.
Ma pipe couve.
Et toujours sous le dôme
— or et vert amortis — des platanes, la statue du bon roi René. On entend aussi
les fontaines harmonieuses dans le soir. Une buée les enveloppe. Ce sont des
fontaines d'eau chaude et d'eau froide. Le crépuscule accuse maintenant la
musicalité compliquée des lignes, des formes, des attitudes : car tous les
gestes sont influencés par l'heure. Je sens les cambrures lasses. Des
chevelures tordues vont se détendre, s'écrouler fabuleusement dans un éclat
brusque de lumière sur les épaules de femmes attentives. Et quel frisson les secouera
? Elles se blottiront alors davantage au creux des fauteuils, souples, très
pâles, très lentes, un peu crispées, elles qui, comme moi, devant des gobelets
de rêve, échafaudèrent de dédaigneuses imaginations.
Des roses de septembre
s'effeuillent au corsage des femmes et les arbres, atteints, eux aussi, par la
rêverie du soir et de l'automne, laissent par intervalles s'éparpiller des
traînes de feuilles...
Voici que tout s'efface dans les fumées on a l'impression d'être noyé de songe. Et c'est une paresse triste. Nous sommes le soir et c'est nous qui nous dispersons avec chaque feuille lorsque, dans le chavirement dernier de la lumière, des cloches sur la ville sonnent l'Angélus.
Aix-en-Provence
In « Poèmes en
Prose »
Photos Océania