Océania (Antigone)
C’est la salle du culte
qui nous sert de local.
Il résonne, renvoie un
écho qui tronque la parole.
Souvent, les icônes qui
ornent les murs sont retournées face à la paroi par ceux que les symboles d’une
religion dérangent.
Marcel est déjà là. Nous
parlons en attendant les autres.
Chaque fois l’attente est
longue et incertaine. Daniel arrive, feuillets à la main.
Attente. Je les quitte
pour aller vers l’aquarium de la gardienne.
Les prévenus ont bien été
appelés ?
Elle pousse un soupir,
prend le téléphone et donne des instructions d’une voix nasillarde.
Retour dans la salle du
culte : Marcel et Daniel répètent une scène d’Antigone.
Celle que nous avons
abordée la semaine passée
Antigone
« Alors, c’est
toi ?
Le garde
Qui, moi ?
Antigone
Mon dernier visage d’homme. »...
Ces deux hommes me font
un cadeau inespéré, incroyable.
Ils ont commencé, sans
les autres, à travailler le texte, le jeu du dialogue, la tonalité du texte
Ils sont vivants, ils
sont dans le désir, le partage, l’autonomie.
Ils n’ont pas attendu le
groupe, ils débordent du rituel habituel.
Il y a du plaisir dans
l’air.
Les autres arrivent,
brouhaha des bonjours, bruits de chaises.
Un mur de cette
pièce en béton est une vitre, du sol au plafond.
Derrière cette vitre, un
olivier malingre, trois buis, des mauvaises herbes, des cailloux.
Au-dessus de cette
végétation, un grillage. L’olivier rame pour survivre, un buis a disparu.
« Eux aussi sont en
prison, pourtant ils n’ont rien fait », dit l’un des hommes.
Bon, on y va,
prêts ?
Renaud, tu es Antigone,
Eric, tu es Créon, Daniel, tu es le garde, ok ?
Les rôles s’échangeront. Certains
lisent, d’autres ont appris par cœur.
Pour apprendre par cœur,
faut que le cœur en ait envie.
Non Richard !
Lorsque Antigone dit « Ecoute... » Que ressent-elle ?
Elle est en face du
garde, son dernier visage d’homme...
Où en est-elle sur son
chemin intérieur ? Que contient cet « écoute » ?
Tu le sens toi,
Richard ? Imagine, dis-nous...
Les mots hésitent,
sortent, ils cherchent l’être de l’héroïne ...
Alors Richard dit les
mots d’Antigone avec l’émotion balbutiante qu’il peut reconnaître en lui.
Qui existe en lui, il ne
découvre pas, il re-découvre. Ce n’est pas de l’imagination.
Les autres opinent de la
tête, satisfaits par la justesse de ton.
Ah, ils ne laissent rien
passer, les autres !
A l’affût de la moindre
syllabe dyslexique, du mot sauté, du souffle non respecté après la virgule...
En sachant que leur tour
à être entendus et jugés viendra.
Un peu plus tard, Daniel
qui interprète également Antigone, dira lorsque je lui fais remarquer que le
ton est trop mou, trop fade : « C’est la féminité qui est en moi
qui me fait parler comme ça, j’essaie d’être la jeune fille qu’elle est »
Alors, nous parlons de la
passion, de l’intransigeance, de l’absolu d’Antigone. Et pourquoi pas de son
côté masculin ? Nous dérivons vers les masculin/féminin nichés en chacun
de nous.
Nous parlons de Créon, du
pouvoir, de la compromission, de la conscience, des valeurs.
En fait, nous ne dérivons
pas, nous sommes là où il faut être exactement : sur ce qui se dit,
s’exprime qui a été tu depuis si longtemps. Antigone et Créon, la brutalité
insensible du garde sont nos outils.
Quelque chose en eux
s’est levé.
Dans la salle du culte
aux icônes occultées, le divin travaille, celui qui met une majuscule à
« Homme »
Et pourtant, ce ne sont
pas des anges...
Photo Océania.
Branche séchée offerte
par M., écrou 1234, MA2, cellule 123