Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Voyage dans les mots
Voyage dans les mots
Derniers commentaires
21 novembre 2008

Océania (Antigone)

branche_s_ch_e



C’est la salle du culte qui nous sert de local.

Il résonne, renvoie un écho qui tronque la parole.

Souvent, les icônes qui ornent les murs sont retournées face à la paroi par ceux que les symboles d’une religion dérangent.

Marcel est déjà là. Nous parlons en attendant les autres.

Chaque fois l’attente est longue et incertaine. Daniel arrive, feuillets à la main.

Attente. Je les quitte pour aller vers l’aquarium de la gardienne.

Les prévenus ont bien été appelés ?

Elle pousse un soupir, prend le téléphone et donne des instructions d’une voix nasillarde.

Retour dans la salle du culte : Marcel et Daniel répètent une scène d’Antigone.

Celle que nous avons abordée la semaine passée

 

Antigone

« Alors, c’est toi ?

Le garde

Qui, moi ?

Antigone

Mon dernier visage d’homme. »...

 

Ces deux hommes me font un cadeau inespéré, incroyable.

Ils ont commencé, sans les autres, à travailler le texte, le jeu du dialogue, la tonalité du texte

Ils sont vivants, ils sont dans le désir, le partage, l’autonomie.

Ils n’ont pas attendu le groupe, ils débordent du rituel habituel.

Il y a du plaisir dans l’air.

 

Les autres arrivent, brouhaha des bonjours, bruits de chaises.

Un mur de cette pièce en béton est une vitre, du sol au plafond.

Derrière cette vitre, un olivier malingre, trois buis, des mauvaises herbes, des cailloux.

Au-dessus de cette végétation, un grillage. L’olivier rame pour survivre, un buis a disparu.

« Eux aussi sont en prison, pourtant ils n’ont rien fait », dit l’un des hommes.

 

Bon, on y va, prêts ?

Renaud, tu es Antigone, Eric, tu es Créon, Daniel, tu es le garde, ok ?

Les rôles s’échangeront. Certains lisent, d’autres ont appris par cœur.

Pour apprendre par cœur, faut que le cœur en ait envie.

 

Non Richard ! Lorsque Antigone dit « Ecoute... » Que ressent-elle ?

Elle est en face du garde, son dernier visage d’homme...

Où en est-elle sur son chemin intérieur ? Que contient cet « écoute » ?

Tu le sens toi, Richard ? Imagine, dis-nous...

 

Les mots hésitent, sortent, ils cherchent l’être de l’héroïne ...

Alors Richard dit les mots d’Antigone avec l’émotion balbutiante qu’il peut reconnaître en lui.

Qui existe en lui, il ne découvre pas, il re-découvre. Ce n’est pas de l’imagination.

 

Les autres opinent de la tête, satisfaits par la justesse de ton.

Ah, ils ne laissent rien passer, les autres !

A l’affût de la moindre syllabe dyslexique, du mot sauté, du souffle non respecté après la virgule...

En sachant que leur tour à être entendus et jugés viendra.

Un peu plus tard, Daniel qui interprète également Antigone, dira lorsque je lui fais remarquer que le ton est trop mou, trop fade : « C’est la féminité qui est en moi qui me fait parler comme ça, j’essaie d’être la jeune fille qu’elle est »

Alors, nous parlons de la passion, de l’intransigeance, de l’absolu d’Antigone. Et pourquoi pas de son côté masculin ? Nous dérivons vers les masculin/féminin nichés en chacun de nous.

Nous parlons de Créon, du pouvoir, de la compromission, de la conscience, des valeurs.

 

En fait, nous ne dérivons pas, nous sommes là où il faut être exactement : sur ce qui se dit, s’exprime qui a été tu depuis si longtemps. Antigone et Créon, la brutalité insensible du garde sont nos outils.

Quelque chose en eux s’est levé.

Dans la salle du culte aux icônes occultées, le divin travaille, celui qui met une majuscule à « Homme »

Et pourtant, ce ne sont pas des anges...


Photo Océania.

Branche séchée offerte par M., écrou 1234, MA2, cellule 123

Publicité
Publicité
Commentaires
Z
Ce ne sont pas des anges, mais ils demeurent des hommes. C'est un témoignage qui déchire un grand pan de gris pour qu'apparaisse le bleu...<br /> <br /> Le divin mets aussi une majuscule à "Femme" il n'y a qu'à vous lire, vous écouter.
P
Voilà qui porte le coeur, l'envie, la vie<br /> et apporte le sens et la qualité d'être. Merci
N
Merci de ce récit magnifiquement raconté. J'ai été saisie! Bonne soirée. Natacha S.
D
Il y a tellement d'humanité ici, dans cette prison, dont une femme aux bijoux a la charge.
L
Il y a bien des choses à apprendre... Témoignage bouleversant, univers auquel on pense rarement si ce n'est lorsque un billet comme le vôtre attire notre attention. "Pour apprendre par coeur, il faut que le coeur en ait envie", formule (et exemple) dont je me servirai en classe.
Voyage dans les mots
Publicité
Archives
Publicité