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Voyage dans les mots
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16 novembre 2008

François Cheng

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Tout exilé connaît au début les affres de l'abandon, du dénuement et de la solitude. Déchiré entre la nostalgie du passé et la dure condition du présent, il expérimente une souffrance plus « muette », plus humiliante, qui le tenaille : n'ayant qu'une connaissance rudimentaire de la langue de son pays d'adoption, il se voit réduit à un être pri­maire aux yeux de tous. Baragouinant des mots ou des phrases parfois approximatifs, incapable d'un récit clair et cohérent, il donne l'impression d'être dépourvu de pen­sées, voire de sentiments. Nancy Huston, dans son très stimulant livre Nord perdu, dit qu'un exilé a beau être bardé de diplômes qui attestent de l'ampleur de son savoir, il en vient, ébahi, à envier les moindres enfants qui bavardent là, dans le métro, avec une incroyable volubilité.
« Saint langage, hon­neur des hommes », a dit Paul Valéry. Le poète se plaçait peut-être dans une perspec­tive idéaliste. Ici, à un humble niveau exis­tentiel, l'exilé éprouve la douleur de tous ceux qui sont privés de langage, et se rend compte combien le langage confère la « légi­timité d'être ».

In « Le dialogue »

Photo Edouard Boubat, Paris, 1948

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Commentaires
A
Et lire et relire aussi "L'éternité ne sera pas de trop". L'amour sublime. <br /> Et s'attarder sur cet extrait de Dialogue, et surtout sur le "langage qui confère la légitimité d'être".
G
Bivouac littéraire sur<br /> http://poetaille.over-blog.fr<br /> <br /> Venez comme vous êtes !
D
Même si nous habitons le même pays, comment parler la même langue que celles de nos dirigeants.<br /> Même quand elle n'est pas de bois, elle semble muette, fade, sans résonances. <br /> Et dans les écoles/prisons qui poussent aux quatre coins du département quelles langues? pour quels langages? Et pour quelles pensées?<br /> C'est très laid mais c'est tout neuf, le vivant n'existe plus, plus d'arbres, plus de feuilles, plus de terre, c'est sale tout ça! fini, on en veut plus, interdit le vivant! hop du balai, de l'ordre, de l'hygiène, des enfants propres dans un monde propre et pour le langage reste la novlangue bien suffisante pour obéir à la somme des "ne pas" d'un règlement d'école primaire. <br /> J'ai beau habiter mon pays d'origine, en parler la langue et pourtant je me sens de plus en plus en exil...
C
Ah! Quelle merveille de retrouver François Cheng sur ce blog!<br /> Nous avons tant à apprendre de ce qu'il a su formuler de la découverte d'une autre culture. Lire et relire "Le dit de Tianyi"....
J
Pour avoir vécu à l'étranger, je connais ce sentiment étrange qui nous démunit et nous amoindrit. Mais visiter l'ailleurs, n'est-ce pas la soif des hommes et de l'étancher autant que possible. Le barrage de la langue est dur à franchir ; ces silences, lourds à supporter. L'étrangeté nous désoriente. Rien ne nous empêche de penser librement, de regarder, l'attrait des choses n'est pas rien. Et de retourner à ses sources avec l'enrichissement dans nos bagages,<br /> que cet ailleurs tout compte fait, en vaut les détours et les bons clichés demeurent...Jackie
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