Maurice Maeterlinck
Si vous gravissez vers le
soir une haute montagne, vous voyez diminuer peu à peu, se perdre enfin dans
l'ombre envahissante de la vallée, les arbres, les maisons, le clocher, les
prés, les vergers, la route et la rivière même.
Mais les petits points lumineux
que l'on trouve, au fond des plus obscures nuits, dans les lieux habités par
les hommes ne s'affaibliront pas à mesure que vous vous élèverez. Au contraire,
à chaque pas que vous ferez vers la hauteur, vous découvrirez un plus grand
nombre de lumières dans les villages endormis sous vos pieds.
La lumière, si
fragile qu'elle soit, est peut-être la seule chose qui ne perde presque rien de
sa valeur en face de l'immensité.
Il en est de même de nos lumières morales
quand nous regardons la vie d'un peu plus haut. Il est bon que la contemplation
nous apprenne à nous désintéresser de toutes nos passions inférieures, mais il
ne faut pas qu'elle affaiblisse ou décourage le plus humble de nos désirs de
vérité, de justice et d'amour.
D'où vient-elle, cette règle
que je formule ainsi ? Je n'en sais rien moi-même. Elle me paraît humaine et
nécessaire, voilà tout ; et je n'en saurais donner d'autres raisons que des
raisons sentimentales. Mais les raisons sentimentales sont parfois les moins
méprisables. Et si j'atteignais un sommet d'où cette loi ne me paraîtrait plus
utile, j'écouterais l'instinct secret qui me dirait de ne pas m 'arrêter, de
m'élever encore, jusqu 'à ce que j'aperçoive de nouveau toute son utilité.
In « La sagesse
et la destinée »
Photo Océania