Pierre Moinot
La haie avait été pour
tous la chambre basse. Elle était faite de deux épaisses rangées d'ormes
têtards et de coudriers entremêlés par les longues attaches des viornes, qui se
rejoignaient en voûte au-dessus d'un grand fossé d'écoulement presque toujours
sec, aux côtés moussus.
Une fois franchie l'étroite musse de sanglier qui en permettait l'accès,
c'était un silence ombreux, doux, secret, une cachette inviolable et ignorée du
monde, qui appelait et permettait tout ce qui ailleurs eût été défendu. Quelques
années auparavant, lorsqu'ils étaient encore petits et accompagnaient des bergers
qui passaient leur temps à pêcher les vairons et les loches, ils avaient joué
là à la joyeuse révolte de transgresser les interdits.
Garçons et filles se dénudaient avec orgueil, offraient aux regards ce qui
aurait dû être caché, se prêtaient aux explorations minutieuses, cambraient
triomphalement leurs différences, les abandonnaient aux palpations attentives
ou aux baisers de qui voulait, comparaient leurs jets dissemblables, se
contentaient parfois de mutuellement et doucement se tenir.
Ces jeux rebelles que les adultes auraient dits impurs étaient pour eux la
révélation ingénue, l'exubérante affirmation de leur existence d'enfant.
Adrien avait passionnément aimé ces moments, devinant obscurément que derrière
ces mystères si naïvement dévoilés était ensevelie une énigme beaucoup plus
profonde dont son corps n'avait pas encore la clé.
À l'âge qu'ils avaient maintenant ces amusements n'étaient plus de mise, leurs
douze ans avaient découvert la pudeur, et l'hésitation d'Alice rejetait un
souvenir dont au plus secret de lui-même Adrien n'oubliait pas tout à fait la
béatitude.
In « Le matin vient et aussi la nuit »
Photo Dan