Botho Strauss
Le gardien attentif est
le seul à ne rien attendre. Il fait face à un événement pour que celui-ci
n'intervienne pas. Sa présence a pour fonction d'empêcher que quoi que ce soit
d'inattendu ne se produise entre l'homme et le musée.
Garde-t-il les tableaux ou
les vitrines ? Non. Il est là pour prévenir l'incident, c'est tout. S'il se
produit, il fera quelque chose, certes, mais il se montrera extrêmement démuni,
désorienté.
Ce qu'on exige alors de
lui est tout à fait hors de portée pour sa nature de gardien. Jamais il ne
pourra maîtriser tout seul le désordre. Il s'en remet aussitôt à un personnage
plus puissant. Il n'est le souverain que d'une situation absolument statique.
Veille- t-il ? Non. Il somnole. Il est traversé par la somnolence qui est celle
de la situation inchangée des choses, et il ne perçoit ni l'espace, ni l'être
humain, ni le tableau.
Lorsqu'il est arraché à
cette somnolence, il est déjà trop tard : il ne peut parvenir et ne parviendra
jamais, si rapide que soit son réveil, à avoir été un veilleur.
In « Fragments de
l’indistinct »
Piero della Francesca
« Le songe de Constantin » (détail)