Francis Ponge (La pluie)
La pluie, dans la cour où
je la regarde tomber, descend à des allures très diverses. Au centre c'est un
fin rideau (ou réseau) discontinu, une chute implacable mais relativement lente
de gouttes probablement assez légères, une précipitation sempiternelle sans
vigueur, une fraction intense du météore pur. A peu de distance des murs de
droite et de gauche tombent avec plus de bruit des gouttes plus lourdes,
individuées. Ici elles semblent de la grosseur d'un grain de blé, là d'un pois,
ailleurs presque d'une bille. Sur des tringles, sur les accoudoirs de la
fenêtre la pluie court horizontalement tandis que sur la face inférieure des
mêmes obstacles elle se suspend en berlingots convexes. Selon la surface
entière d'un petit toit de zinc que le regard surplombe elle ruisselle en nappe
très mince, moirée à cause de courants très variés par les imperceptibles
ondulations et bosses de la couverture. De la gouttière attenante où elle coule
avec la contention d'un ruisseau creux sans grande pente, elle choit tout à coup
en un filet parfaitement vertical, assez grossièrement tréssé, jusqu'au sol où
elle se brise et rejaillit en aiguillettes brillantes.
Chacune de ses formes a une allure particulière: il y répond un bruit
particulier. Le tout vit avec intensité comme un mécanisme compliqué, aussi
précis que hasardeux, comme une horlogerie dont le ressort est la pesanteur
d'une masse donnée de vapeur en précipitation.
La sonnerie au sol des filets verticaux, le glou-glou des gouttières, les
minuscules coups de gong se multiplient et résonnent à la fois en un concert
sans monotonie, non sans délicatesse.
Lorsque le ressort s'est détendu, certains rouages quelque temps continuent à
fonctionner, de plus en plus ralentis, puis toute la machinerie s'arrête. Alors
si le soleil reparaît tout s'efface bientôt, le brillant appareil s'évapore :
il a plu.
Sculpture Folon