Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Voyage dans les mots
Voyage dans les mots
Derniers commentaires
2 septembre 2008

Francis Ponge (La pluie)

Folon___le_parapluie___Coumarine

                                                                                                                       Photo Coumarine

La pluie, dans la cour où je la regarde tomber, descend à des allures très diverses. Au centre c'est un fin rideau (ou réseau) discontinu, une chute implacable mais relativement lente de gouttes probablement assez légères, une précipitation sempiternelle sans vigueur, une fraction intense du météore pur. A peu de distance des murs de droite et de gauche tombent avec plus de bruit des gouttes plus lourdes, individuées. Ici elles semblent de la grosseur d'un grain de blé, là d'un pois, ailleurs presque d'une bille. Sur des tringles, sur les accoudoirs de la fenêtre la pluie court horizontalement tandis que sur la face inférieure des mêmes obstacles elle se suspend en berlingots convexes. Selon la surface entière d'un petit toit de zinc que le regard surplombe elle ruisselle en nappe très mince, moirée à cause de courants très variés par les imperceptibles ondulations et bosses de la couverture. De la gouttière attenante où elle coule avec la contention d'un ruisseau creux sans grande pente, elle choit tout à coup en un filet parfaitement vertical, assez grossièrement tréssé, jusqu'au sol où elle se brise et rejaillit en aiguillettes brillantes.

   
Chacune de ses formes a une allure particulière: il y répond un bruit particulier. Le tout vit avec intensité comme un mécanisme compliqué, aussi précis que hasardeux, comme une horlogerie dont le ressort est la pesanteur d'une masse donnée de vapeur en précipitation.

   
La sonnerie au sol des filets verticaux, le glou-glou des gouttières, les minuscules coups de gong se multiplient et résonnent à la fois en un concert sans monotonie, non sans délicatesse.

   
Lorsque le ressort s'est détendu, certains rouages quelque temps continuent à fonctionner, de plus en plus ralentis, puis toute la machinerie s'arrête. Alors si le soleil reparaît tout s'efface bientôt, le brillant appareil s'évapore : il a plu.

 

In « Le Parti pris des choses »

Sculpture Folon

Publicité
Publicité
Commentaires
D
Merveilleuse sculpture... Si j'ai la chance de la voir un jour, il me semble que je pourrais rester des heures.
C
Comme Nicolas, j'ai étudié Le Parti pris des choses à la fac. (Nous n'avons pourtant pas le même âge!). Je me souviens de cette découverte. Moi qui n'aimais pas du tout la poésie, je m'y suis ouvert grâce à lui. J'avais d'ailleurs fait un travail sur l'orange, il me semble, avec un plaisir dont je me souviens encore.
L
La pluie nous parle, elle n'est pas une mais plusieurs. Langages divers qui comble l'âme végétale que certains d'entre-nous possède.<br /> Photo d'un lieu magique, passage entre deux parties du Musée Folon à La Hulpe. Endroit où il fait bon s'arrêter (seule!).
A
Ponge donne à voir, il enseigne les choses au regard. <br /> J'ai toujours aimé sa précision... Un très beau texte que je ne connaissais pas, moi qui aime la pluie (et oui !)<br /> Merci Oceania !
J
Magnifique... quand la pluie fait le beau temps.
Voyage dans les mots
Publicité
Archives
Publicité