Julien Gracq (Un homme va être amoureux)

Un homme - écrivain ou bon connaisseur de la littérature - va être amoureux d'une femme très belle, mais qui écrit, et qui écrit médiocrement.
La beauté de cette femme s'en trouve atteinte et gâtée de manière irrémédiable ;

simplement et candidement sotte, il n'en serait rien.
Pourtant quel don borné, étroitement circonscrit, que le don littéraire, et sans retentissement majeur sur la qualité d'un être !
Mais dans ce secteur limité de la vie de l'esprit, et presque étanche à tous les autres, qu'est la production artistique, la distance entre le quelconque et l'excellent est stellaire, incommensu­rable : quiconque croit naïvement « écrire », et en fait n'écrit pas, reproduit à peu près pour le connaisseur l'écart glaçant du fou d'asile qui se prend pour Napo­léon.

In « Lettrines 2 »

Photo fragment A.

Comments

[D. Hasselmann]

Se prendre pour Napoléon, est-ce une folie ? Un exemple récent inquiète.

L'écriture est sans doute une thérapie, encore faut-il savoir lire. Gracq, médecin en chef, de ce point de vue-là (comme André Breton, stagiaire au Val-de-Grâce).

[Querelle]

Voila un texte qui donne envie d'en savoir plus sur un auteur. Vous me recommanderiez un ouvrage en particulier ?

[Ziza]

Je dirai que l'inverse existe aussi...pour que la parité soit respectée. ;)

"la distance entre le quelconque et l'excellent est stellaire" et on sait bien tous qu'il dit vrai à ce sujet. Personnellement je ne suis pas choquée.

[kelcun]

quel joli fragment, et quel joli texte aussi !
je crois qu'on peut dire ça, pour Gracq qui est tellement raffiné, et tellement modeste aussi... tout en se sachant du bon côté du talent (mais comment aurait-il pu en être autrement !)
juste un tout petit peu misogyne... pourrait dire le si joli sourire (s'il n'était au-dessus de ça !)

[amichel]

môssieur le baron de cracq ne se prendrait-il pas aussi pour napoléon ,en se posant lui-même sur la tête la couronne impériale des belles lettres !
il y a surement plus de fous dans la littérature (et non des moindres) que dans les asiles !
le temps jugera !
sic transit gloria mundi !