Ernst Moerman
Week-end
Depuis que tu m'aimes,
Cette petite ride
verticale
Entre mes deux yeux
Ne quitte plus mon
sommeil.
Le sommeil n'efface pas
l'amour
Comme la surface de l'eau claire
N'éteint pas la flamme qui s'y mire.
Je n'ai plus froid
Depuis que c'est moi qui
t'aime le plus.
Ma soif calme ma faim
Et mon charbon sent la
vanille.
Je ne sais si je suis
plus faux ou plus fier.
Te souviens-tu du fond de
la mer ?
Tu es la seule femme
Rencontrée à pareille
profondeur.
Nous ne sommes encore
qu'au centième étage,
Nous ne remonterons pas de sitôt
à la surface.
Nous avons trois mille
mètres devant nous.
Hâtons-nous de ne pas nous presser
Pour ne pas trop fatiguer
Nos semelles de plomb.
Mais dans ce miracle lent,
Je sens que nous allons
trop vite.
L'heure de la fièvre
Est en avance sur celle
des maladies,
Comme les oiseaux pressés
Devancent le vent qui les
porte.
Déjà nous n'accordons
plus nos instruments
Pour parler tous deux du présent.
Et déjà je n'écoute plus
Que les questions que je
te pose.
Pendant qu'elle dort et rêve à d'autres,
(les autres sont, moi, très souvent),
son parfum la nuit
parfois se lève
et vient me troubler.
La hâte s'engouffre dans
notre naufrage ;
Nous nous chauffons
Avec les mâts de notre
navire.
Nous brûlons les mâts sur le pont.
Nous brûlerons le pont sur la cale,
la cale sur la mer.
Bientôt on ne retrouvera
plus,
Flottant à la dérive,
Que le baromètre
Qui marquait le beau
temps.
L'amour doit toujours
Demeurer en deçà du
lendemain ;
Puisque le bonheur n'existe pas,
Tâchons d'être heureux sans lui.
Extrait de « 37°5 »
Photo Helios