Paul Giannoli (pluie de perles)
Sous une pluie de
perles et de rubis
L'été, un simple rideau de perles sépare la cuisine du jardin. Il ne s'agit que
de petites billes multicolores enfilées sur des chaînettes verticales. On
dirait qu'il pleut des rubis, des émeraudes, des saphirs, des améthystes.
Ce rideau mouvant fait
inventer des attitudes. On peut, dans un geste théâtral, le partager pour
entrer en scène. Si les deux mains sont occupées par une corbeille de pêches ou
le tian du civet, on se présente de dos, les fils vous accompagnent jusqu'à la
fin de la rotation qu'on est obligé d'effectuer. Il arrive que les perles se
prennent dans les chevelures. Les filles jouent à les draper autour de leur
taille pour ressembler à des danseuses orientales. Friand de leur caresse sur
son dos, le chat entre et sort inlassablement.
Le rideau de perles
manifeste sa vie par un bruissement qu'on ne peut pas confondre avec d'autres
bruits du jardin. Il existe une inexplicable harmonie entre lui et le chant
des cigales.
Souvent une guêpe
s'obstine, s'acharne, bataille, incrédule devant cette floraison de fruits sans
parfum.
J'aime secouer le panier
à salade. Surtout l'été.
Je me place dans un rai
de soleil qui filtre par les lames des persiennes. Là, j'accomplis un acte
féerique.
A chacun des balancements
une myriade de gouttelettes d'eau s'échappe et retombe. Me voici au milieu d'un
essaim de petites bulles irisées. Un arc-en-ciel se fragmente pour tomber sur
moi en averse.
La cuisine disparaît. Je
suis le créateur d'un univers magique tellement éphémère que personne n'aurait
le temps de me le voler.
In « Les gestes
oubliés »
Photo Yves "Diadème"