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Voyage dans les mots
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2 juin 2008

Nicolas Frize

prison4


Purger une peine de prison, c'est d'abord être ramené à rien, réduit à la passivité, l'autodes­truction, l'inutilité, la solitude gratuite, inefficace et éternel­lement froide (certains qualifieront insolemment la prison de « lieu de réflexion sur soi »). Les mineurs détenus font bien de se poser toutes ces questions de sens ! À y regarder de près, leurs réactions rebelles, suicidaires ou hypocrites ne manquent pas, de motifs, donc de « sens ».

Les détenus adultes condamnés à de longues peines se demandent eux aussi comment vivre au jour le jour. Les barrières qu'ils voient se dresser devant eux leur interdisent d'imaginer les projets qu'on leur enjoint d'échafauder, les empêchent de concevoir des continuités possibles. Lorsque la survie au jour le jour exige d'eux qu'ils résistent à la douleur et à l'abandon, alors qu'aucune raison d'être ne leur a jamais été signifiée, ils voient une solution dans l'annihi­lation de leurs envies, de leurs besoins, lesquels sont les sources principales de leur souffrance autant que du rappel de ce dont ils manquent. À cette condition, « on peut être bien !».
Celui qui se passe de tout ne ressent plus la privation, il lui échappe ! Sans besoins, sans désirs, il ne vit plus que dans le présent, coupé du temps et des causes. Conditionné dans un ensemble de gestes et de pensées limités à l'exercice du présent, et non plus liés à la satisfaction d'attentes ou de nécessités, le bonheur, mélange d'insensibilité et d'animalité, d'insouciance et d'évitement, de présence et d'absence, se déploie dans un temps impossible à mesurer, atemporel, arythmique, inarticulé, que chaque instant réduit à lui-même et ne rattache à aucun autre. Dans ces conditions d'enfon­cement dans la solitude, dans un soi hors de soi, la peine est non seulement indolore, mais elle ne s'inscrit plus en réponse ou en écho à quoi que ce soit. Elle est sans objet ni évé­nement, sans continuité ni rupture, sans sujet ni construction, sans alimentation ni défection ; profondément destructrice, mais sans douleur ou presque, hors du sens.

In « Le sens de la peine » (Etat de l’idéologie carcérale) 2004

éditions Leo Scheer

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