Tout n’est pas dit
Croire que « tout a été dit » et que « l’on vient
trop tard » est le fait d’un esprit sans force, ou que le monde ne surprend
plus assez. Peu de choses, au contraire, ont été dites comme il le fallait, car
la secrète vérité du monde est fuyante, et l’on peut ne jamais cesser de la
poursuivre, l’approcher quelquefois, souvent de nouveau s’en éloigner. C’est
pourquoi, il ne peut y avoir de répit à nos questions, d’arrêt dans nos
recherches, c’est pourquoi nous ne devrions jamais connaître la mort
intérieure, celle qui survient quand nous croyons, à tort, avoir épuisé toute
possibilité de surprise. Si nous cédons à ce désabusement, bien proche du
désespoir, c’est que nous ne savons plus voir ni le monde en dehors de nous, ni
celui que nous contenons, c’est que nous sommes inférieurs à notre tâche (…)
Quiconque s’enfonce assez loin dans sa sensibilité particulière,
quiconque est assez attentif à la singularité de son expérience propre,
découvre des régions nouvelles ; et il comprend aussi combien il est difficile
de décrire à d’autres les pas effrayés ou enchantés qu’il y fait.
In « Tout
n’est pas dit » Le temps qu’il fait, 1994
Photo Océania