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Voyage dans les mots
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13 mai 2008

Océania ( Buddleia)

vu_du_saule001


Le thème musical du jour est le « Concerto pour violon » de Brahms, commentaires et audition. Une vingtaine de personne est installée sous la voûte de la salle à manger.
Valérie est présente.
Un de ses fils l’accompagne. En arrivant, l’enfant me tend une pousse de buddleia plantée dans un petit pot entouré de papier aluminium.
- C’est pour toi, me dit Valérie, elle vient de mon jardin, j’espère qu’elle grandira bien chez 
   toi. Tu verras, en fleur, c’est très beau…
- Quelque chose à planter, quelque chose qui va grandir, merci, cela me fait plaisir !
La tige frêle garnie de minuscules feuilles, bousculée par les petites mains turbulentes a souffert pendant le voyage.

Valérie est violoniste. Je la connais depuis la formation, là-bas au Moulin de La Roque.
Un midi, elle a sorti son violon de l’étui et en a joué pour nous.
Simplicité du geste, spontanéité du don importaient davantage que la musique.
J’imaginais la jeune femme, partant de chez elle, son violon sous le bras avec l’intention de nous faire partager une vibration intime, un moment de grâce.
Deuxième violon dans une fosse d’orchestre, elle soutient et accompagne de nombreux héros d’opéra dont le scénario implique une mort tragique.
Elle apprécie particulièrement le concerto de Brahms qui fut sa partition de concours. Alors voilà, elle est venue avec son fils et le buddleia écouter le concerto mais aussi me dire à sa façon qu’elle m’aime.
Le soir, j’ai posé le modeste pot planté de son brin délicat sur l’étagère.
J’ai bien dormi.

La petite plante reste plusieurs semaines sur le rebord du mur dans mon atelier.
Statique. Elle ne fane pas, ne grandit pas. Au début de l’été, je l’installe à l’air sur le seuil de la porte, je veille à sa soif, à son orientation.
Parfois, je me surprends immobile et pensive devant cette petite chose qui n’évolue pas.
Je voudrais découvrir un changement. Le seul signe de vie qu’elle manifeste est de ne pas mourir. Et je songe à Valérie, à son mari électrocuté, léthargique pendant sept ans avant de s’éteindre.

Un chien a fait pipi sur le buddleia. L’herbe jaunit, lui, ne jaunit pas.
Figé, il résiste. Je le pose sur la table ronde en fer mais un matin de mistral, il tombe et la tige casse. A la base, il reste l’infime bourgeon présent depuis le début.
Cette brindille fracturée, agressée, je la plante en pleine terre entre deux rosiers et l’encercle de cailloux afin que personne ne confonde. Je préviens tout le monde : « ceci n’est pas une mauvaise herbe, c’est un arbre ! » Chacun s’esclaffe et se moque gentiment.

Tous les matins, je me penche et j’observe. Le bourgeon a d’abord verdi ensuite s’est ouvert en offrant l’ébauche d’une feuille.
- « Tu as vu, Z… ? Non ? Viens voir, regarde, alors qu’est-ce que c’est ça ? Oui, une feuille, c’est une feuille, ça vit, ça bouge ! »
Je suis contente, je marche dans l’herbe mouillée, la chienne gambade et saute autour de moi dans la lumière rasante du matin.

Puis, il y eut le différend avec Z…, un manque de communication qui provoque la bouffée de colère, les palpitations du cœur, qui ouvre la vieille blessure amère. Plusieurs jours difficiles pleins de tensions, de bruit et de fureur durant lesquels je ressasse des pensées étriquées et mesquines.
J’aspire à partir quelques jours. On parle départ, qui fait quoi, où, quand, comment ça marche…L’absence, ça s’organise.
Z… se tourne vers moi : « Tu veux que j’arrose ton arbre ? »

Merci Valérie.

16 septembre 1997

Je ne vis plus sur le territoire du buddleia.
La dernière fois que je l’ai vu, c’était un bel arbuste couvert de fleurs.



buddleia

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Commentaires
F
j'ai beaucoup aimé ce "conte" moderne, avec la magie de l'arbre extraordinaire, un arbre-lien.
T
Les plantes, ce qu'elles nous disent ou ne nous disent pas, quand elles poussent ou quand elles végètent et surtout si elles sont offertes. Lors d'un récent déménagement solitaire, il a fallut que j'emporte le rejeton du grand Yuka offert à l'occasion du mariage, il y a bien longtemps. Il se trouve très bien sur sa petite terrasse à 400 kms de son ascendant et renforce sans doute le lien distendu par l'absence.
D
Une trsè belle fable, antenne parabolique vers la lumière, plante tenace et vie surgissante. Même le style est cultivé.
Z
On l'appelle "arbre à papillons". Et de fait il en est toujours couvert. Une maman m'a offert il y a quatre ans une orchidée d'un rose puissant. Je n'avais jamais eu d'orchidée. Et puis ça me paraissait une fleur troc chic trop compliquée. Mais je lui ai quand même donné un pot plus grand, de quoi manger et boire. A mon immense surprise, elle a refleuri chaque année. Et là, malgré qu'elle ne soit pas très belle, une nouvelle pousse vigoureuse lui est venue entre les pieds. Elle va me donner encore une de ces branches de fleurs souriantes dont elle a le secret...
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