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Voyage dans les mots
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22 avril 2008

Colette

Colette___chat_Mitsou


Mitsou au Lieutenant Bleu.

Je suis assise au petit bureau. Mais je ne m'y suis pas assise tout de suite et je n'ai pas commencé ma lettre sans réfléchir comme vous me le demandiez.
D'abord ce n'est pas dans ma nature, ni dans mes possibilités. Et puis, il faut donner aux personnes le temps de lire une lettre, de bien la lire, de sourire, de se moucher, de s'essuyer les yeux et de raisonner. Je vous l'ai déjà écrit, je ne peux pas écrire vite. D'ailleurs, votre lettre non plus, vous ne l'avez pas écrite vite. Pour un officier en service commandé qui part, vous en avez mis long. Mon chéri, ce n'est ce n’est pas un reproche et ne mettez pas vos sourcils sur le milieu de votre nez ! Ce n'est pas un reproche et c'en est un. Je me demande si je ne préférerez pas que vous m'auriez écrit : « Suis forcé partir avec capitaine. Baisers. » Comme un télégramme, quoi. Ne vous fâchez pas, je vous en prie. Laissez-moi vous mettre en premier tout ce qui n'est pas bon, le meilleur viendra après.
Voilà donc que vous partez, c'est détestable et même pire. Mais pourquoi vous en excusez-vous? J'ai dans l'idée que ce n'est pas de partir que vous vous excusez, mais de me quitter. Ah ! vous allez dire « cette Mitsou, je ne peux pas partir sans la quitter ! »

Que si. Ce n’est difficile qu’à expliquez mais pas à comprendre…Mon amour, mettez-vous une chose dans la tête : c'est que je vous aime. O je ne vous dis pas ça comme on fait un cadeau, au contraire. Mon pauvre chéri, je vous aime. Et je vous donne permission de vous écriez en le lisant : « Eh bien, me voilà frais ! » Une femme qui aime, même une petite bête comme moi, ça devient insupportable, ça comprend, ça devine,… Ça devient comme l'électricité quand le courant y est posé, une minute avant c’était un cordon et une boule en verre stupide, une minute après c’est un fil de feu qui éclaire tout.

Le bon côté pour vous de cet ennui qui vous arrive, c’est que je sais à présent que vous pouvez comptez sur moi. Comptez sur moi pour tout; pour vous attendre si vous voulez que je vous attende, pour deviner ce que vous auriez honte à me dire ; et comptez sur moi, si la fantaisie vous prend de me déclarer en face « c’est fini nous deux », pour vous montrer que je sais me conduire et qu’il n’y a pas besoin d’eau de mélisse ni de vinaigre.

J’ajoute encore que si ça vous convenez que je fasse un autre métier, que j’apprenne des choses, que je me change en ci ou en ça, j’en suis également capable, quand même ce ne serez que pour vous faire une distraction ou un sujet de conversation avec moi.
Est-ce que vous ne vous sentez pas un peu rassurez dans votre malheur que je vous aime ?
O, j’espère que oui. Moi, je me sens assez consolée dans le mien, parce que rien ne me le cache, surtout pas votre lettre. Mon Lieutenant Bleu bien-aimé, ce n’est pas difficile de voir que vous cherchez sans le vouloir à sautez piéjoints par-dessus notre rencontre d’hier.On ne peut pas être plus aimable que vous l’êtes pour notre petit passé de correspondance. Un mal élevé m'aurez écrit : « Je raffolais de toi avant de te connaître, effaçons nos dernières vingt-quatre heures et on va recommencer... » Mais ce ne serez pas la peine d'avoir été bien élevé, si ça ne vous servez pas à servir sur un joli plat ce que les autres vous envoyent par la figure.

« Bon », vous dites en lisant, « bon, cette Mitsou , elle s'est vexée. » Ni vexée ni désolée, mon chéri, et on me pousserez grand comme l'ongle que j'avouerez que je me sens plus à mon aize que ce matin. Pensez, je me demandais encore ce matin toute seule : « Mais qui est-ce qui me dira ce qu'il  pense de moi? » et naturellement, je ne comptez pas sur vous pour me renseigner. Dans votre milieu, on ne dit pas à une femme.: « Vous êtes la dernière des dernières », on lui dit : « Madame, mes respectueux hommages, je m'en vais achetez des ciga­rettes, attendez-moi un instant », et on la laisse là pour la vie. Je ne suis pas la dernière des dernières, et pourtant j'avais bien peur de ne jamais vous voir revenir, même en lettre...

A présent, le premier moment dur passé, je vois qu'il n'y a pas trop de grands dégâts.
« Allons », je me dis, « il m'écrit, il se rappelle de moi, il questionne, il veut savoir... » Vous saurez tout, mon chéri. Vous n'avez qu'à demander. Si j'aurez pré­féré la promenade de jour au lieu de notre prochaine nuit? Je n’hésite pas, j'aurai préféré la nuit. Mon amour, la nuit c'est moins embarrassant, c'est moins intime. Je serai toujours à peu près à la hauteur de vous, pourvu que je soie toute nue dans vos bras et couchée. Le plus terrible c'est qu'il faut nous relevez, et alors là je tremble devant vous. Tout ce que vous avez désirez inutilement de moi pendant que nous étions ensemble, moi je l'ai eu de vous. Je n'en ai pas encore fini de m'étonner que votre peau soit si douce, que vous avez l'air si sérieux en dormant, ni que vous couchez sans chemise. Je ne croyez pas que vous aviez les pieds si petits. Et, aussi je croyais qu'un jeune homme si raffiné, qui mange au restau­rant avec des petites manières et des précautions, allait s'occupez de toutes sortes de choses en faisant l'amour, et pas du tout ! Quand j'ai vu que vous ne vous occu­piez que de me prendre toute à la fois tout uniment, je ne peux pas vous dire comme j’étais contente. Alors, comment voulez-vous que je ne vous aime pas ?

Mon chéri, le difficile pour vous, c’était de ne pas être aimé de moi. Le presque impossible pour moi, c'est d'être aimée de vous. Je dis presque impos­sible, parce que je suis ainsi faite que je n'accepte pas dans mon esprit le pire des malheurs et le pire des bonheurs. « Trop raisonnable pour son âge, cette Mitsou! » qu'elles disent mes camarades. Si je ne l’étais pas, je n'aurez pas tant réfléchi la nuit dernière sur votre sommeil. Pendant que vous dormiez, mon amour, j'ai renoncez par avance au maximum de ce que vous pouviez me donnez. Mais c'était pour faire la part du feu, en espérant sauver de toi la moindre des choses... Tu me trouve bien humble! Ne crois pas que je mendie. Si tu me réponds « adieu Mit­sou », je n'en mourrai pas. J'ai un petit coeur assez dur, pour qu'on le nourrisse avec un chagrin. Je serais plutôt du côté de Gitanette, qu'on veut tout le temps consolez d'une grande peine qu'elle a et qui répond : « Je serai bien avancée quand je n'aurai plus de chagrin! à quoi est-ce que je m'occuperai après? »

« En attendant je m'entête à espérer mieux que le chagrin que tu pourrez me laisser. Tu m'as trouvez sur le bord d'une scène où je chantais trois couplets, et je n'avais pas dans la tête autant d'idées que de couplets. Ce qui t'a plut eu moi, c'est toi qui l'y a mis; mais venu de toi ou non, ça s'y est bien enraciné !  Au bout de quatre mois, est-ce que tu n'étais pas ému de me voir grandir? Le dommage c'est que, te voir paraître en personne, ça m'a fait rentrez tous mes bourgeons… N'empêche qu'une femme qui  a une obstination en amour, ça pousse vite. Ça fleuri, ça sait prendre une tournure, une couleur, à faire illusion aux plus délicats. Mon amour, je vais essayer de devenir ton illusion. C'est une ambition très grande, mon Cher Lieutenant Bleu, et vous ne m'avez pas invitée à une promenade qui peut faire le tour de la vie... Commençons donc par le plus facile, et si vous n'êtes pas tout à fait découragé; donnez-moi, je vous en prie, encore votre sommeil à côté de moi, encore la surprise de vous suivre si facilement jusqu'au plaisir, — accordez-moi la confiance et la bonne amitié de votre corps : peut-être qu'une nuit, à tâtons, tout doucement, elles m'amèneront enfin jus­qu'à vous.

                                                                             Mitsou

In, « Mitsou »
[sic] pour les fautes d’orthographe

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Commentaires
L
Chère petite Mitsou si attendrissante... sous la plume tendre, précise, sensuelle de Colette. Une plume comme une patte de chatte, douce et cruelle.Et puis ce style incomparable qui se déguste...Je la relis et la relis sans cesse, rien que pour le plaisir de goûter cette prose terrienne et d'une justesse absolue.
S
La chatte s’endormit brusquement sur le flanc, le menton en l’air, les canines découvertes comme un fauve mort ; des plumules de l’arbre-à-perruque, des pétales de clématites pleuvaient sur elle (Saha) sans qu’elle tressaillit au fond du rêve où elle goûtait sans doute la sécurité, la présence inaliénable de son ami. Son attitude vaincue, les coins tirés et pâlis de sa lèvre gris pervenche avouaient une nuit de veille misérable.<br /> Au haut du fût desséché, drapé des plantes grimpantes, un vol d’abeilles, sur le lierre en fleur, soutenait une note de timbale grave, la même note depuis tant d’étés… « Dormir là, sur l’herbe, entre le rosier jaune et la chatte…. » LA CHATTE Colette.<br /> <br /> Quelle surprise ravie auront les lecteurs quand ils liront l’admirable livre…qui est un des plus originaux et des plus beaux qu’elle ait écrits et écrit en cette langue simple, drue, subtile, nuancée, profondément et fortement classique, en cette langue d’une perfection naturelle et d’un rêve puissant…H. de Régner
F
Délicieuse Colette ! Gourmande, légère, et si "sage" ! Comment pouvait-on lui résister ?<br /> Bonsoir à vous.<br /> Frederique<br /> <br /> ps : (sic) d'où viennent ces "z" ?
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