Dominique Sampiero (Pluies battantes)
Les pluies
battantes
(extrait)
Alors on se tait. En cela
on leur ressemble. On ressemble aux vaches, à tout le monde, aux chiens
derrière les grilles. Au chat fou qui traverse comme une flèche, éclate contre
une voiture tout le sang de sa fourrure, sa cervelle, son dedans, à vif.
C'est un silence comme
une colère. On écrit des livres éventrés, tout le corps en porte trace. Quelque
chose arrive parfois là, dans les boiseries de la bouche, en aveugle. On lui
donne un visage, des mots doux, familiers. D'une seule cognée, il nous
franchit, nous répond. Quand nous revenons à nous, les gens nous parlent, nous
donnent des nouvelles de notre coma. Car il y a un endroit dans la parole qui
n'est plus la langue, on ne s'en méfie pas assez.
Bien sûr, ça sonne, ça
chante, c'est beau, un peu comme les rivières, le vent dans les arbres, les
sources. Mais du coup, on ne voit plus la pierre dans la vase, l'arbre tombé à
terre, les oeufs jetés en bas du nid, piétinés. Le cadavre blanc d'un chien
pris dans les saules.
Il faut beaucoup de
pénombre aux mains pour qu'elles perdent tout, la peau, la paume, les doigts,
beaucoup de pénombre pour que le hasard mûrisse comme il a mûri déjà dans le
corps des mères, et bien plus loin encore dans la racine, beaucoup de pénombre
à la rivière avant son surgissement dans la fraîcheur. Il faut beaucoup de
pénombre pour approcher.
Il faut imaginer un pays avec des pluies, des orages, un pays qui n'existe pas,
des racines grandes comme des arbres, des flaques comme des pare-brise, le vent
partout, même dans les regards, et avancer dans cette contrée comme à
l'intérieur de soi, les bustes s'inclinent travaillés par une fatigue sans
nom, sans âge, et cette usure gagne tout, le ciel, les maisons, le silence.
Peut-on, rien qu'une
fois, aussi rugueux, violent et maladroit que cette vie-là, écrire sans rien retirer,
sans rien oublier, dans la rage des épines, un coup de vent nous jette au sol,
en injuriant la pluie, la boue, dans un coup de sang? L'orage n'est pas
toujours ce que l'on croit, un ciel strié d'eau, de foudres et de pierres.
C'est parfois simplement un visage incliné, immobile.
Photo Marc Dixon "Rainy day"