Georges Haldas
C'est quand il ne se
passe rien, semble-t-il, dans notre vie individuelle que tout, dans
l'essentiel, arrive. O désert où soudain le vent souffle.
Ces moments où, simplement,
l'ordre des objets sur une table — un carafon de vin, un verre, une serviette
chiffonnée, une cuiller posée un peu de guingois ou un couteau avec, tout près,
un livre sur la nappe couleur ocre — revêt un caractère quasi sacré. Cela,
précisément, ce soir. Mais quelle histoire — indéchiffrable — que la
souterraine préparation de ces moments.
C'est notre manière
d'être qui exprime ce que nos paroles ne parviennent pas à dire. Et c'est cela
qu'il faut percevoir chez les êtres, si on veut les approcher. Essayer de les
reconnaître dans ce qu'ils sont. Non dans ce qu'on croit qu'ils sont. D'après
ce qu'ils disent. C'est, en fait, leur non-dit (dans les paroles) qui passe par
leur manière d'être, leur regard, leurs gestes, la simple tenue de leur corps
etc.
Ces moments de grâce
aussi où les plus absurdes conversations, autour de soi, sont perçues comme
l'écho — les bribes — d'une musique universelle. Ici tout jugement cesse. On
n'entend plus que ces voix à travers lesquelles vous arrive la voix du dedans
qui est d'abord silence. Et qui dit ensuite tout autre chose que ce que les
paroles des autres disent.
Toute menace d'orage
dissipée, ciel du soir devenu rose dans une buée lumineuse d'une incroyable
douceur. Qui elle aussi participe de cette voix du silence en nous. Sensible,
également, dans le simple pépiement d'un moineau en cet instant. Qui, en fait,
est bien plus qu'un instant ou qui l'est au sens premier d'in-stare : se tenir
dedans. Dont tout ce qui nous apparaît est certes le dehors. Mais un dehors relié.
Chaque instant, en ce sens, comme une pépite. Ou une larme. Ou une goutte de
sang.
In, "Le coeur de tous"
Photo obustin (zyeuter)