Renée Brock
... Lola, en combinaison,
penchée vers la cuve remplie d'eau tiède, plongeait sa chevelure. Et cette
chevelure elle-même, on aurait dit un liquide sombre et un peu gluant qui
coulait de sa nuque blanche, une sorte de lait noir fuyant d'un pot de porcelaine
pâle.
Mimie versait une
première fois du shampooing et elle frictionnait avec vigueur, du bout des
doigts. L'essence de cèdre se mêlait au sébum et un puissant arôme végétal et
charnel montait dans la vapeur du cuvier. Mimie rinçait et recommençait une seconde
fois, mais souplement et de la paume. Une mousse épaisse recouvrait la surface
du bac et enneigeait le crâne de Lola. Puis, Mimie ouvrait les robinets à fond
et renouvelait l'eau, et les cheveux réapparaissaient obscurs et flottants,
allongés et mouvants comme de l'herbe aquatique. Alors, il fallait tordre,
laisser égoutter, éponger. Lola se redressait, et d'un coup de tête et de reins
elle rejetait la toison humide sur son dos. Cela faisait fll, fll. Lola
frissonnait en recevant ce paquet d'anguilles sur la peau nue de ses épaules.
Et, elle demeurait ainsi,
debout, nuque renversée, col tendu, les yeux fermés sous ses paupières un peu
transparentes, prise de vertige, et comme offerte à on ne sait qui ou quoi.
Et puisque toujours, le
poids des longues chevelures dénude légèrement le dessus du front et les
tempes, la peau du crâne à ces endroits apparaissait, pâle et un peu bleutée.
Cela faisait comme un halo, une ingénuité, et Lola semblait être une très
petite fille.
C'est alors que
commençait le travail de bénédictine. Avec quelle patiente douceur, par quels
petits coups délicats et incisifs de démêloir, Mimie attaquait la lourde
broussaille brune !
Lola ne bronchait pas,
comme absente, séparée de cette surprenante masse organique qui était à la fois
une merveille et un esclavage.
Ce mardi soir, le café
était dans la pénombre comme à l'ordinaire. Il avait son air de fermé "pour
cause de décès dans la famille ». La lueur habituelle venait de la porte vitrée
de la cuisine.
Dos au fourneau, Lola
séchait ses cheveux. Elle était toujours en combinaison. Du nylon vert pâli
avec une dentelle incrustée à la machine, et un peu déchirée sous les bras. Des
auréoles lilacées. De ses seins, petits, on ne pouvait que deviner les aréoles,
tant elles étaient d'un rose tendre. Démêlés et lisses, les cheveux pendaient
autour d'elle jusqu'à sa taille et s'appuyaient sur les reins. Des éclats
fauves et paille commençaient à poindre dans la teinte assombrie et uniformisée
par l'humidité. Il se dégageait, autour de Lola, une odeur de propreté parfumée
et aussi une senteur de terreau un soir d'été.
On comprenait qu'un homme
amoureux, et même un qui ne le fût pas, eût la violente envie d'y enfouir son
visage, en respirant à fond, dans l'émoi subit du désir.
Ed. St-Germain-des-Prés
Photo didoubass (flickr)