Armand Gatti
Exclu
Lorsqu’on me demande ce que cela veut dire un exclu, moi je réponds que mon
problème n’est pas social. J’ai la réputation, partout où je vais, de lutter
pour le social... Oh, attention ! Attention, hein ! Moi, je suis pas
Balladur (à cette époque, c’était Balladur) ! Je suis pas venu gérer la
misère du système. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le chômage, c’est le
chômeur. C’est l’homme ! Fondamentalement, son existence d’homme et sa
plénitude d’homme ! Evidemment, ce sont des gens condamnés par le langage
qui ne savent pas renverser le mauvais destin. Et lorsqu’on me dit
"exclu", je dis : exclu de quoi ? Exclu de la vie que
suppose le langage, petit, m’as-tu vu, travesti qui a toutes les tares ?
Exclu des mots qui cherchent à faire une surenchère ? Exclu du langage qui
ne fait qu’un bruit de coquille vide, vide de sens, et dont rien ne sera
retenu ?
Et après ?
Que deviennent-ils après ? S’il y a trente individus, il y a trente façons
différentes pour que ça se passe. L’un sort premier au Conservatoire de Paris
et fait un tabac formidable. C’est sa vérité. Mais il y a l’exemple de cet
autre qui a été viré et qui répond à l’un de ces organismes sociaux demandant
des comptes : "Moi, j’ai trouvé ma voie. On m’a foutu dehors et toute
l’expérience je l’ai faite en étant dehors. Je suis sauvé". Pourquoi je
fais tout ça ? Au départ, c’est pour qu’ils prennent conscience de leur
Verbe, de leur parole. Les révolutions n’existent qu’à partir du moment où
elles sont véhiculées par le langage. Il n’y a que le langage. Et puis je fais
ça aussi pour qu’ils soient plus beaux en sortant qu’en entrant. Voilà. Par la
parole, on commence à être maître de son destin, on nomme les choses, on les
fait exister. Et c’est très simple : lorsque la parole habite l’homme,
brusquement il y a autre chose qui se passe. Le regard est changé. Ce n’est
plus le même.
Entretien réalisé par
Chloé Hunzinger publié le 3 mars
2002 dans la revue des ressources
Photo Erodo.be , "Epistula-ae"