Alina Reyes
Les draps blancs
L'amour est blanc comme
la nuit, l'aube entre parenthèses, les pointes des parenthèses tendues pour se
rejoindre, tracer l'oeil aveugle du voyant. L'amour est blanc comme le premier
lange de la vie, et son linceul recommencé, la robe des communiants et la
couronne de fleurs sur la tête des vierges qu'on mène à la défloration,
l'amour est blanc comme la chemise de l'homme que je veux, les draps entre
lesquels je l'imagine, car de n'importe quelle couleur les draps sont toujours
blancs, où dansent nos corps en ombres chinoises, les draps sont blancs comme
les pages tissées de toute éternité par les fileuses de destins, blancs comme
l'écume laissée sur la plage, et la crête des vagues quand au matin on les
secoue sur l'île désertée du lit.
Les draps sont blancs
parce que si longtemps les femmes les ont empilés dans de sombres armoires
comme une lumière secrète, parce que je les ai vus étendus par terre au soleil
comme des offrandes, où ils étaient l'image même de l'Amour couché sous le
Ciel, ouvert, extasié sous le poids du divin dans l'herbe scintillante des
prés.
L'époque est sombre et
j'ai envie de lumière, de vies tissées d'envies de vivre, de désirs solides et
joyeux, je veux des choses concrètes, anciennes et humaines, comme les rêves,
la pensée, la musique, la danse, les livres et le plaisir. Je veux de l'amour.
In, "Politique de l'amour"
Photo Solomon Gursky (flickr)