Régis Debray
Un bon tableau, dans un
premier temps, nous désapprend la parole et nous réapprend à voir. A soupeser, à placer, à distinguer à l'oeil nu le grenu du fibreux, le
mat du semi-mat, le dépoli du translucide ; à faire résonner au fond de soi la
silencieuse intensité d'un outremer, le jeu changeant des rayons lumineux sur
une surface vernissée, et le glacis flamand fait pour la semi-obscurité d'un
intérieur d’hiver n'est pas le satiné vénitien de ces palais aux baies ouvertes
sur le large été.
Bonnard s'amusait, on comprend pourquoi, que « la peinture
n'ait jamais inspiré les hommes de lettres ». Négligence, défaut de ceux qui ne
lisent pas. Negloptence, défaut de ceux qui, à trop lire et écrire,
négligent le voir. Il y a quelque chose de profondément subversif à ne rien
vouloir exprimer. Et par là même, à tirer tout un chacun de son sommeil
sensoriel en déstabilisant ses habitudes et ses attentes. On comprend la joie
d'un Soulages à se taire. Elle nous force à réfléchir — en décrassant nos
miroirs.
Écrivain reconnu,
admiré du narrateur, Bergotte incarne le romancier-type dans "A la Recherche du temps perdu"
In,"Vie et mort de l'image"