Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Voyage dans les mots
Voyage dans les mots
Derniers commentaires
24 janvier 2008

Régis Debray

Mur_jaune___Delft___Vermeer


Un bon tableau, dans un premier temps, nous désapprend la parole et nous réapprend à voir. A soupeser, à placer, à distinguer à l'oeil nu le grenu du fibreux, le mat du semi-mat, le dépoli du translucide ; à faire résonner au fond de soi la silencieuse intensité d'un outremer, le jeu changeant des rayons lumineux sur une surface vernissée, et le glacis flamand fait pour la semi-obscurité d'un intérieur d’hiver n'est pas le satiné vénitien de ces palais aux baies ouvertes sur le large été.
Bonnard s'amusait, on comprend pourquoi, que « la peinture n'ait jamais inspiré les hommes de lettres ». Négligence, défaut de ceux qui ne lisent pas. Negloptence, défaut de ceux qui, à trop lire et écrire, négligent le voir. Il y a quelque chose de profondément subversif à ne rien vouloir exprimer. Et par là même, à tirer tout un cha­cun de son sommeil sensoriel en déstabilisant ses ha­bitudes et ses attentes. On comprend la joie d'un Soulages à se taire. Elle nous force à réfléchir — en décrassant nos miroirs.

 [ … ]

 L'oeil s'éduque par les mots — les noms de couleurs, une bonne palette de substantifs, nous entraînent à mieux discriminer entre les tons. Les bons poètes nous exercent à mieux voir, et leurs mots pourtant sont aveugles. Un rouge coquelicot est incolore, le concept de chien n'aboie pas. Et pourtant, pourquoi Bergotte*, atteint d'urémie, est-il sorti de chez lui pour aller au Luxembourg ? Parce qu'il a lu la veille l'article très détaillé d'un critique d'art sur Vermeer. Sans ce texte, il n'aurait jamais vu le mur jaune, qu'il ne se rappelait d'ailleurs pas. Et regarderions-nous aujourd'hui Vermeer avec les mêmes yeux sans le ré­cit proustien ? Comme l'intelligence « développe » les sensations, le langage peut aspirer à « développer » l'image comme un négatif, quoiqu'il n'ait pas le même pouvoir de suggestion. Le visible alors s'ac­complit dans le lisible. Cela s'appelle la littérature.

Écrivain reconnu, admiré du narrateur, Bergotte incarne le romancier-type dans "A la Recherche du temps perdu"


In,"Vie et mort de l'image"

Tableau "Vue de Delft", Vermeer 

Publicité
Publicité
Commentaires
G
dominique, le poète n'a absolument aucun souci à se faire; en cela, il vit dans un luxe qu'ignore la majorité...inquiète.<br /> <br /> démagogie éhontée: le propre de l'activité politique tous bords confondus, ne vous en déplaise.<br /> <br /> pouvoir politique: il faut être vraiment naïf pour qu'on croire qu'un politicien, quel qu'il soit, de plus en l'occurence un spécialiste des traitrises en tout genre, soit habité par une quelconque volonté de servir (allo, ici la terre?), il y a déjà longtemps que démocratie ne signifie plus qu'oligarchie; revoyez plutôt "brazil" le film de terry gillam pour voir le présent, les états-nations, c'est déjà du passé (pour faire dans le culturel, rappelez-vous que "l'exemple", la démocratie athénienne avait un vrai système électif démocratique: le tirage au sort. pour le fun, demandez-vous ce qu'en penseraient vos "brillants" politiques d'aujourd'hui...)<br /> <br /> société française solidaire: si vous voulez, allez donc demander aux solidaires retraités d'une génération privilégiée qui matériellement a tout eu de faire des efforts pour les générations suivantes (ou rappelez-vous le score de dumont aux présidentielles de 1974, dans un autre registre), vous verrez la solidarité d'un autre oeil.<br /> <br /> le rôle des poètes n'est pas obligatoirement d'inférer dans les affaires sociales et, encore une fois, le commentaire sur debray ne visait que sa capacité de "voir" ou de "ressentir" artistiquement parlant, capacité plutôt linéaire vue d'ici.
D
Je retiens le mot "résurgences" dans votre réponse, car il resurgit... quand on ne l'attend plus. <br /> <br /> La "politique de civilisation" de Nicolas Sarkozy, auquel faisait écho le titre freudien de l'article de Régis Debray, est un concept copié-collé et, ici, très vague, destiné à faire passer sous le manteau le démantèlement réel de la société française solidaire, appuyé par... l'Attila de service.<br /> <br /> Régis Debray ne prétend pas jouer pas au poète, il analyse la situation "théocratique" d'un pouvoir qui mélange tout et n'importe quoi au nom d'une démagogie éhontée. <br /> <br /> Mais les poètes, s'ils arrivent encore à s'exprimer, ont vraiment du souci à se faire !
G
pas de souci, dominique, le commentaire signé gmc débute par "debray n'est pas un poète" et cadre l'ensemble dans un registre dit "artistique".<br /> précision au passage: "civilisation" est un terme qui ne signifie strictement rien, si ce n'est la vanité d'une part non négligeable de l'humanité (surtout celle des cultures dominantes: peut-on prétendre qu'une culture est "civilisée" quand elle appuie son emprise sur 30 (années)x 100 millions de morts de faim par an qu'elle a les moyens de nourrir? il semble que génocide soit un terme légèrement fadasse et périmé, vu de cette perspective). ajouté à ceci que toute société constituée est obligatoirement une entité immorale, comme quoi la pertinence politique, une fois ramenée à ce niveau, ne concerne pas véritablement le poète.<br /> <br /> alors que debray soit un super analyste politique ne présente pour le poète qu'un intérêt d'une signifiance excessivement faible, car toutes ces belles analyses ne change strictement rien à ce qui précède....qu'un silence rayonnant recouvre d'une jolie chape de plomb.<br /> <br /> néanmoins, un poème du 20 janvier pour illustrer ce propos:<br /> <br /> INCIVILACTION<br /> <br /> Civilisation est un mot creux<br /> Paré de tout l'orgueil des hommes<br /> Toute culture est vouée à disparaître<br /> Avant même que d'être née<br /> De sauvages incendiaires<br /> Parfument au feu les embruns<br /> Les résurgences sont permanentes<br /> Dans le mouvement des marées<br /> Sous les déferlantes de l'impermanence<br /> S'épanouit la geste calme des mariés
D
Je précise que ma réponse "Malaise dans la civilisation" est donnée au commentaire signé "gmc".
D
Lisez l'article de Régis Debray, publié dans "Le Monde" daté du 25 janvier, intitulé "Malaise dans la civilisation" : si "voir consiste à reculer, à prendre de l'ampleur", vous comprendrez alors ce qu'est une analyse politique et, ne vous en déplaise, tout simplement une pensée.
Voyage dans les mots
Publicité
Archives
Publicité