Pascal Quignard (L'aurore)
Je connais bien l'aurore.
Je ne l'ai jamais manquée. Même en avion j'entrouvre le petit volet de plastique
dont l'hôtesse a ordonné la fermeture pour épier, quelque heure qu'il soit dans
le décalage circulaire et céleste, je connais l'heure de la lueur.
Derrière la lueur se
tient le seuil incertain de la terre.
*
L'aurore est au jour ce que le printemps est à l'année c'est-à-dire ce que le bébé
est au mort.
L'aurore tire une fumée
de brume au-dessus des rivières et des lacs. C'est un voile qui s'interpose entre
le soleil qui se hisse et son reflet qui se répand dans la région de l'air qui
l'entoure. C'est sa propre chaleur qui en rend impossible la vision à l'instant
de sa naissance. Nous ne connaissons jamais ce qui commence à son début. Toute
cause en nous est récapitulée et fictive.
*
Nous ne connaissons
jamais ce qui finit à l'instant de sa fin véritable. Tout adieu est un mot dont
on veut croire qu'il conclut. Or il ne débute rien et il n'achève rien.
In, " Les ombres errantes"
photo pcsl57 (flickr)