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Voyage dans les mots
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13 novembre 2007

Jean Genet (Giacometti)

Giacometti___le_chien_1951


Le chien en bronze, de Giacometti est admirable. Il était encore plus beau quand son étrange matière : plâtre, ficelles ou étoupes mêlées, s'effilochait. La courbe, sans articulation marquée et pourtant sensible, de sa patte avant est si belle qu'elle décide à elle seule de la démarche en souplesse du chien. Car il flâne, en flairant, son museau allongé au ras du sol. Il est maigre.

J'avais oublié l'admirable chat : en plâtre, du museau au bout de la queue, presque horizontal et capable de passer par le trou d'une souris. Son horizontalité rigide resti­tuait parfaitement la forme que garde le chat, même lorsqu'il est en boule.
Comme je m'étonne qu'il y ait un animal, — c'est le seul parmi ses figures :
LUI. — C'est moi. Un jour je me suis vu dans la rue comme ça. J'étais le chien.
S'il fut d'abord choisi comme signe de misère et de solitude, il me semble que ce chien est dessiné comme un paraphe harmonieux, la courbe de l'échine répondant à la courbe de la patte, mais ce paraphe est encore la magnification suprême de la solitude.

Cette région secrète, cette solitude où les êtres — les choses également — se réfugient, c'est elle qui donne tant de beauté à la rue, par exemple : je suis dans l'autobus, assis, je n'ai qu'à regarder dehors. La rue descend que l'autobus dévale. Je vais assez vite pour n'avoir pas la possibilité de m'attarder sur un visage ou un geste, ma vitesse exige de mon regard une vitesse correspondante, eh bien, pas un visage, pas un corps, pas une attitude qui soient apprêtés pour moi : ils sont nus. J'enregistre : un homme très grand, très maigre, voûté, la poitrine creuse, lunettes et long nez ; une grosse ménagère qui marche lentement, lourdement, tristement ; un vieil­lard qui n'est pas un beau vieillard, un arbre qui est seul, à côté d'un arbre qui est seul, à côté d'un autre... ; un employé, un autre, une multitude d'employés, toute une ville peu­plées d'employés courbés, tout entier ras­semblés dans ce détail d'eux-mêmes que mon regard enregistre : un pli de la bouche, une lassitude des épaules... chacune de leurs atti­tudes, à cause peut-être de cette vitesse de mon oeil et du véhicule, est griffonnée si vite, si vite saisie dans son arabesque que chaque être m'est révélé dans ce qu'il a de plus neuf, de plus irremplaçable — et c'est toujours une blessure — grâce à la solitude où les place cette blessure dont ils ont à peine connais­sance et où pourtant tout leur être afflue. Je traverse ainsi une ville crayonnée par Rem­brandt, où chacun et chaque chose sont saisis dans leur vérité qui laisse loin derrière la beauté plastique. La ville — faite de solitude — serait admirable de vie, sauf que mon autobus croise des amoureux traversant une place : ils se tiennent par la taille et la fille a inventé ce geste charmant, mettre et garder sa petite main dans la poche revolver du blue-jean du garçon, et voici que ce geste gracieux et apprêté vulgarise une page de chefs-d'oeuvre.

La solitude, comme je l'entends, ne signifie pas condition misérable mais plutôt royauté secrète, incommunicabilité profonde mais connaissance plus ou moins obscure d'une inattaquable singularité.

In, «  L’atelier d’Alberto Giacometti »

Giacometti, "Chien" 1951
Giacometti, "Le chat" 1954


Giacometti___Chat_1954

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Commentaires
Q
Merci pour cet extrait. Je ne connaissais pas cette oeuvre et j'aime ce qu'il dit sur la solitude, le paragraphe final, c'est tellement vrai pour celui qui l'accepte et sait la vivre, ne la refuse pas.<br /> Je ne connaissais pas non plus ces deux sculptures de Giacommetti, seulement les androides, et celle du chien me plait beaucoup.
C
De tres belles choses sur ce blog !!!
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