Lorgnon mélancolique
Beata solitudo, sola beatitudo
Quand accepterons-nous de
reconnaître que la plupart de nos actes sont en grande partie déterminés par la
peur de la solitude?
Si c’était pour cela que nous renonçons à toutes les choses que nous
regretterons à la fin de notre vie? Et que, pour cette raison, nous disons si
rarement ce que nous pensons? Pourquoi tenons-nous à ces mariages branlants, à
ces amitiés de façade, à ces réunions de famille ennuyeuses, à ces abaissements
pour monter dans la carrière? Qu’est-ce qui arriverait si nous renoncions à tout
cela? Si nous mettions un terme à ce chantage insidieux et décidions de nous
assumer? Si nous laissions jaillir comme une fontaine tous nos désirs piétinés
et la fureur que nous cause leur bâillonnement?
Cette solitude si redoutée, en quoi consiste-t-elle véritablement? Dans le
silence plombé des reproches qui nous sont désormais épargnés? Dans la
nécessité abolie de marcher à pas feutrés, en retenant notre souffle, sur le
champ de mine des menteries conjugales et des demi vérités amicales?
Déplorerons-nous la liberté de nous asseoir, à table, en face de personne?
L’abondance de temps qui s’ouvre quand cesse le feu roulant des obligations
sociales et leurs simagrées? N’est-ce pas une merveille? Un état paradisiaque?
Pourquoi en avoir peur? Est-ce la tache aveugle de notre désidérabilité
sociale? Est-ce une peur qui n’existe que parce que nous négligeons obstinément
d’en faire l’objet de notre attention? Une peur qui nous a été inculquée par
des parents conformistes, des professeurs falots, des prêtres à la tête vide?
Et si les autres se mettaient à nous envier parce qu’ils voient à quel point
notre liberté est devenue vaste et notre vie bonne? Est-ce qu’ils ne
rechercheraient pas à nouveau notre compagnie?
http://lorgnonmelancolique.blog.lemonde.fr/
Photo Half Algo (zyeuter)